L’inflation ! Une fatalité ? [1] Par maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud*

lun, 22/11/2021 - 10:44

Taleb Khyar Mohamed – De quelle inflation parlons-nous ?

 

Il s’agit bien entendu de celle qui étrangle la classe moyenne qui n’en finit plus de périr sous les coups de boutoir de la flambée des prix, que l’on ne peut résorber par des mesures dérisoires, comme l’augmentation épisodique des salaires dans des proportions inéluctablement insignifiantes, l’accroissement des revenus de transfert, qui dans l’ensemble, ne sont que des artifices contribuant à l’augmentation de la masse monétaire, sans que cela ne corresponde à une quelconque amélioration du pouvoir d’achat.

Or, la première contrainte, en matière de lutte contre l’inflation se situe précisément, au niveau de la maîtrise de la masse monétaire, une maîtrise qui permette la stabilité des prix, garantisse une croissance durable, améliore le niveau d’emploi ; la seconde contrainte, non moins importante, consiste à ne plus se focaliser pour résoudre ce problème, sur les seules solutions que préconisent les thérapies classiques, à travers notamment, l’accroissement des dépenses publiques, pour créer de l’emploi, accroître les revenus, et par voie de conséquence, le pouvoir d’achat.

Ces solutions ont fait leurs preuves, mais ne sont plus d’actualité du fait du degré de monétarisation d’une économie devenue irréductiblement globale, où l’offre de monnaie est désormais le principal déterminant du niveau des prix.

Il ne s’agit pas non plus de verser dans les solutions préconisées par les institutions financières internationales, dont on connaît les méfaits sociaux et économiques, tels que les ont vécus les pays africains dans les années 90, privés au nom d’une vertueuse cure d’amaigrissement, de ce qu’il y a de plus essentiel dans un pays ; l’école publique, l’hôpital public, et la démocratie dont les balbutiements, n’en étaient pas moins annonciateurs de lendemains apaisés, où l’homme lambda pouvait espérer, croire qu’il deviendrait enfin, un citoyen protégé par cette seule qualité, contre les abus du pouvoir, quels qu’en soient les ressorts, et les auteurs.

Hélas ! L’euphorie n’allait pas survivre aux régimes d’exception qui fleurirent, ici et là, et qui, dans un deal satanique avec les institutions financières internationales, donnèrent leur peuple en sacrifice, pour se faire attribuer le grade de bon client ; c’était devant celui qui vendait le plus de démantèlement de la nation, le plus de décomposition sociale, le plus d’abrutissement de la population, que les institutions financières internationales déployaient le tapis rouge.

On encensait les bourreaux de la connaissance, ces nouveaux gouvernants qu’on nous présentait comme porteurs d’une authenticité ressuscitée, et on vit défiler des dictateurs sanguinaires arborant des tenues pittoresques, expliquant dans un langage saugrenu, le sort peu envieux qu’il réservait à l’élan démocratique naissant ; on les vit donc recueillir des tonnerres d’applaudissement, et parfois même de véritables « « standing ovation » de la part de la communauté internationale, qui n’avait d’yeux que pour les arrangements conclus à travers les institutions financières internationales, lui permettant de recouvrer une créance fictive, devenue une créance perpétuelle qui n’en finit plus d’être honorée.

Le résultat est là ; les populations concernées naguère par les ajustements structurels vivent à l’âge de la pierre taillée ; on s’y insulte, on s’y entretue, à l’ombre d’Etats en déconfiture, où la faillite économique s’accompagne de désordres constitutionnels, de guerres civiles, d’émergence de bandes mafieuses qui font la loi.

Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que les Etats, contrairement à la présomption de solvabilité dont les juristes les gratifient, peuvent très bien tomber en faillite, et devenir des « collapsed states », des lieux de grand banditisme.

Il faut se féliciter, que dans cet espace de cupidité, d’indifférence à l’autre, certains organismes dont OXFAM international, se soient d’ores et déjà prononcés contre toutes les cures d’amaigrissement suggérées par les institutions financières internationales, qui s’empressent de proposer leurs services sous le prétexte fallacieux de venir en aide aux pays en voie de développement, dont les économies sont affectées il est vrai, par la covid, mais dans des proportions contenues, ou susceptibles de l’être, pourvu qu’on y prenne garde.

Tous les pays qui ont souscrit aux programmes d’ajustement structurel, ont connu un développement de l’enseignement privé grassement financé sur injonctions des institutions de Bretton Woods, au détriment de l’école publique, où l’on enseignait les valeurs républicaines de citoyenneté, d’égalité et d’effort au travail, comme cette période a vu la santé publique acculée dans ses plus profonds retranchements, avec non seulement la disparition de l’infrastructure sanitaire, mais aussi, l’émergence d’une médecine privée, dont la fonction essentielle est de contribuer à l’indigence de la population, du fait de son inaccessibilité aux personnes les plus démunies qui iront s’éteindre à l’ombre d’hôpitaux publics, devenus de véritables mouroirs.

Il faudra donc qu’au niveau de la Mauritanie, on se livre à une réflexion globale, sur la manière de surmonter l’inflation, en ayant recours au seul levier stratégique qui vaille, qu’est celui d’une bonne combinaison de nos ressources et des compétences dont nous disposons ; c’est par ce seul et unique levier stratégique que l’on trouvera la solution qui préserve le mieux le pouvoir d’achat de la population, sans s’exposer à se voir mettre à nouveau la corde au cou, pour améliorer les résultats d’une quelconque institution financière.

Evidemment, il faut commencer par se fixer un objectif qui corresponde à notre préoccupation du moment qu’est donc l’inflation, et se représenter une solution, ou la solution, inenvisageable en dehors d’une action sur la masse monétaire, toute la problématique étant de savoir comment, et dans quelle proportion, cette réduction pourra se faire de la manière la plus vertueuse possible, pour atteindre les objectifs recherchés que sont la stabilité des prix, la croissance et l’emploi.

On devra malheureusement se résigner à aborder ce problème sous le seul angle monétaire, du fait même de la globalisation de l’économie, conduite au rythme d’une financiarisation de plus en plus accélérée, dont on a du mal à fixer la mesure.

L’inflation mine la société, déshumanise par la mise en exergue de l’instinct de survie, redistribue de manière arbitraire la richesse, altère la monnaie officielle qui perd son rôle d’intermédiaire d’échanges, au profit de monnaies étrangères, et peut même ramener une économie à l’âge du troc, perçu comme un moyen plus stable d’échanges.

Rapportant le témoignage d’un employé bolivien lors de l’hyperinflation ayant frappé son pays dans les années 80, le Wall Street Journal dans sa parution du 13 août 1985, lui accordait les déclarations suivantes : « Nous sommes devenus myopes : nous ne pensons qu’à aujourd’hui et à convertir chaque peso en dollars » et toujours dans le même ordre d’idées, un autre déclarait « Nous ne produisons plus rien, nous sommes tous devenus des spéculateurs monétaires »…..

« Les gens ne savent plus ce qui est bien et ce qui est mal, nous sommes devenues une société amorale… », et le journal de relever que « …dans le souci de survivre, aucun fonctionnaire ne délivre plus de formulaires sans prébendes…………….Les travailleurs vont de grève en grève et détournent l’argent de leur entreprise. Les responsables de celles-ci écoulent en fraude, à l’étranger, une partie de leur production, ou font des emprunts factices……..n’importe quoi pour obtenir des dollars à des fins spéculatives……dans les mines d’Etat, les mineurs se sont payé leur salaire en sortant frauduleusement les minerais les plus riches de la mine pour les livrer à un réseau de contrebande qui les achemine………….C’est ainsi que la Bolivie qui ne dispose d’aucune mine notoire d’étain est devenu un exportateur d’étain à hauteur de 400 tonnes par an ».

Le problème de l’inflation nous concerne tous, que nous soyons libéraux , militants politiques, ou acteurs de la société civile ; c’est donc par souci de voir d’autres cadres mauritaniens nationaux, ou internationaux car il y en a, et pas des moindres, intervenir dans la même veine, que je m’en vais apporter ma modeste contribution à une bonne compréhension de ce problème d’actualité, source de turbulences politiques, que Keynes qualifie comme un « système » qui « appauvrit beaucoup de gens », au bénéfice d’une poignée de personnes dont l’enrichissement « ne porte pas seulement atteinte à la sécurité publique, mais aussi à la confiance que l’on avait dans la justice de la répartition actuelle des richesses », un système où « les procédés d’enrichissement deviennent un jeu de hasard, une loterie ». (Ouvrage de J.M. Keynes « Les conséquences économiques de la paix » page 119).

A suivre…

*Avocat à la Cour.

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre.