Nana Cheikhna, députée RFD à l’Assemblée nationale : "Dans le dossier de la corruption, il est d'une...

jeu, 04/02/2021 - 09:43

importance capitale que la justice suive son cours de manière indépendante"

Le Calame : L’assemblée vient de clore sa première session de 21. Les mauritaniens attendaient la mise en place de la haute Cour de Justice (HCJ). A ce propos, que s’est-il passé au Parlement ? Est-ce à dire que le consensus qui avait prévalu depuis la création de la commission d’enquête parlementaire a fini de voler en éclats entrainant avec lui, la mort de ce projet ?

Nana Cheikhna : Tout d'abord, il convient de rappeler que la Haute Cour de Justice est une institution prévue par la constitution au même titre que toutes les autres. Ainsi n'a-t-elle pas ce caractère éphémère qui est celui d'une commission d'enquête dont la durée de vie s'achève dès la réalisation de la mission que le parlement lui a assignée.

Cette cour revêt une importance capitale dans le dispositif constitutionnel en ce qu'elle représente l'un des principaux remparts contre les crimes et délits éventuellement commis par les membres du gouvernement ou dans le cas la haute trahison dont serait coupable le président de la République. Sa mise en place est donc impérative. Quant à votre question liée aux raisons du report de la désignation de ses membres, il faut à ce niveau rappeler que la loi y afférente a été votée depuis quelques mois mais qu'au niveau du gouvernement sa publication a pris un grand retard auquel nous ne trouvons pas d'explication.

Ce n'est que quelques jours avant la clôture de la session qu'il a été demandé aux groupes parlementaires de procéder à la proposition de leurs représentants au sein de cette cour. Or le délai étant très court avant la clôture réglementaire prévue à la fin du mois de janvier, elle n'a donc pas pu être constituée avant cette date. Je rappelle cependant que ce report n’enfreint nullement les textes, lesquels disposent que la mise en place de la cour doit impérativement être effectuée au cours de la session suivant le vote de la loi y afférente. Conformément à cette disposition, la cour devra être constituée au cours de la prochaine session.

Quant à son mode de constitution, il est certainement préférable qu'il soit entrepris sur le mode consensuel afin de lui préserver l'équilibre et la crédibilité nécessaires à sa charge.

Ceux qui cherchent à privilégier le mode strictement proportionnel, voient les choses exclusivement à travers le prisme réducteur de la part à obtenir sans se soucier d’élargir la représentativité aux différentes composantes de la chambre à un moment crucial de l'histoire du pays.

-Bon nombre d’observateurs pensent que le gouvernement préférerait l’option de la justice ordinaire à celle de la justice exceptionnelle (HCJ). Partagez-vous ce sentiment ?

- Au niveau actuel de la procédure, le rapport de la commission d'enquête parlementaire se trouve encore en phase d'enquête préliminaire de police. Je ne puis présager de la suite qui lui sera réservée s'il est transmis au parquet.

Il est en tout d'une importance capitale que la justice suive son cours de manière indépendante au niveau des juridictions compétentes au terme des lois.

-L’opposition semble décidée à recouvrer son unité, elle a scellé des retrouvailles chez le président d’APP, Messaoud Boulkheir, il y a quelques semaines. Pensez-vous qu’elle réussira à relever ce défi? Si oui, comment ? Le président Ghazwani pourrait-il, en fin de compte accepter le dialogue que l’opposition lui réclame depuis son élection ?

- Il relève de l'évidence de rappeler que l'opposition est composée de partis politiques qui œuvrent chacun selon sa vision et ses priorités. Il n'est donc pas question d'unité.

Cependant, il est important que ces partis procèdent à des coordinations en certaines occurrences pour des questions fondamentales qui ont un caractère transversal.

- Que pensez-vous de la récente flambée des prix et les mesures prises par le gouvernement pour y remédier ? Ont-elles réussi à freiner cette spirale ?

La hausse vertigineuse des prix que l'on constate souvent est à chaque fois attribuée par le gouvernement à des raisons externes liées au renchérissement des prix de première nécessité à l'échelle internationale. Or, il me semble que, même si on peut imputer cela en partie à ce facteur, nous ne pouvons que constater que certains hommes d'affaires, au nombre très réduit, favorisés depuis une dizaine d'années au niveau douanier, fiscal, et sur le plan des transferts, sont en situation d'oligopole, faussant totalement la concurrence et procédant à des spéculations inflationnistes creusant dangereusement l'insuffisance alimentaire et menaçante pour la paix sociale.

Dans un pays qui produit peut-être à peine le tiers de ses besoins de première nécessité, il est indispensable qu'un système de régulation soit mis en place pour barrer la route à la spéculation.

La Sonimex fut un instrument précieux pour contrer ces pratiques malfaisantes et aussi pour optimiser les prix par le biais de la subvention en cas de pics à l’échelle internationale.

Au-delà de cela, il est urgent qu'une réflexion sérieuse soit sollicitée par le gouvernement et entreprise par nos experts (nombreux ici et à l'extérieur) pour envisager une vision et une stratégie sur le moyen terme afin que notre économie passe de la rente à la productivité. Une stratégie adaptée à notre potentiel et nos réalités et proposée à nos partenaires au développement.

Nous devons poser les jalons d'un programme pour nous défaire de l’économie fondée sur l'assistanat à peuple en perpétuel sinistre.

-Quelle appréciation vous faites du bilan du gouvernement déroulé devant le Parlement, il y a quelques jours ?

-Pour évoquer le bilan et programme du premier ministre, il me semble qu'au niveau du bilan, les meilleures décisions qui me paraissent dignes d'être soulignées sont celles relatives aux retraités et la prise en charge au niveau de la CNAM de 100.000 familles.

Quant au programme, il me semble insuffisant en ce qu'il occulte un point qui me paraît essentiel.

En effet, je demeure convaincue que le pays a besoin en urgence d’un débat, un dialogue, une concertation ( appelez-le comme vous voudrez) qui se penche sur les fondamentaux qui constituent l'ossature de la démocratie ( CENI, justice constitutionnelle, libertés publiques etc.), ceux relatifs à notre unité nationale sérieusement fissurée afin de soigner de manière consensuelle ses blessures et aussi nous pencher sur notre système éducatif pour faire les choix pertinents afin de sortir de notre stérilité économique et aussi pour esquisser un projet de société qui serait au service d'une nation mauritanienne réconciliée et fière de sa diversité.

Sans cela nous continuerons à naviguer à vue et à traîner des maux qui empirent de jour en jour au détriment de notre cohésion nationale.

Propos recueillis par Dalay Lam