En attendant la réouverture des salles, chaque samedi une rencontre. Thierry Fiorile, est aujourd'hui avec l'acteur Tahar Rahim.
Révélé par Jacques Audiard dans "Un prophète" en 2009, Tahar Rahim est en haut de l'affiche de "Désigné coupable" de Kevin Macdonald, qui sortira, on l'espère au printemps. Tahar Rahim est en haut de l'affiche de "Désigné coupable" de Kevin Macdonald, qui sortira, on l'espère dans quelques semaines.
Il y est bouleversant dans le rôle de Mohamedou Ould Slahi, ce Mauritanien emprisonné, torturé, dans la prison américaine de Guantanamo, durant 14 ans, de 2002 à 2016, sans que les accusations de terrorisme portées contre lui ne soient jamais avérées.
franceinfo : C’est un rôle qui va vous marquer durablement ?
Tahar Rahim : Dans mon chemin d’acteur, c'est un rôle exceptionnel qui m'a permis de me dépasser, en tout cas de dépasser certaines limites, puis d'expérimenter des choses que je n'avais pas faites avant. Mais avant tout, c'est aussi la rencontre avec un être humain exceptionnel, d'une immense sagesse, d’une philosophie magnifique, que j'ai envie de suivre. Si j'ai pris quelque chose de ce film, c'est bien ça. C'est sa philosophie. Je ne dis pas que je suis capable de l'appliquer maintenant, mais en tout cas, c'est un bon moteur.
La philosophie de Mohamedou Ould Slahi, c'est ce qui lui permet de survivre dans un contexte épouvantable ?
Absolument, c’est une question de survie. En y réfléchissant, je me dis qu'il y a trois façons de traverser ça. Soit on met fin à ses jours, soit on devient fou ou alors on arrive à développer cette sagesse que Mohamedou a su développer. Alors lui, ç'est passé par transformer la colère en pardon. Ça, c'était quelque chose que j'avais du mal à concevoir. Je ne sais pas si j'en serais capable et je lui ai demandé. Il m’a dit : "Je n'ai absolument plus de colère en moi depuis bien longtemps."
Quand on réalise que pardonner les gens qui nous font du mal, à ce point, est une faveur que l’on se fait à soi-même, alors on est libre. Votre esprit est libre. Il dit : "C'est pour ça que même là-bas, j'étais libre". Mais éventuellement, on peut aussi avoir le pouvoir de transformer et de faire changer les mentalités des gens. Et ça, c'est quelque chose qu'il a réussi avec succès, particulièrement directement avec ces gardes.
Certains sont devenus ses amis. Il y en a un qui vient lui rendre visite en Mauritanie, c'est fou ! Ils ont changé. Même certains qui l'avaient torturé ont changé avec lui au fil des années, sont devenus plutôt copains. Pendant qu'il se faisait torturer, il leur disait : "Quand même pourquoi vous faites ça vous-même ?" Il faut avoir une ultra conscience pour être dans cet état. Il a réussi à les voir, eux aussi, comme des victimes d'un système. Donc, il a eu pitié pour eux.
Vous avez passé beaucoup de temps ensemble pendant le tournage ?
Pendant le tournage pas beaucoup. Moi, j'ai passé beaucoup de temps avec lui à travers son livre, à travers ses enregistrements. Mais après, sur le plateau, il est venu trois jours. C'était la première fois qu'il pouvait voyager à nouveau. Donc, il vient sur le plateau, et je ne sais pas quand il arrivait et je lui tombe dessus en sortant de l'hôtel pour aller sur le tournage. On se tombe dans les bras comme si on se connaissait depuis 20 ans et qu'on ne s'était pas vus depuis tant d'années. C'était un sentiment très, très agréable.
Et après, pour lui, j'étais tellement heureux qu'il puisse voir le monde voir comme il a changé. C'est un peu Disneyland, il redécouvrait tout un tas de choses. Et quand il vient sur le plateau, effectivement, ça, c'est un choc. Tout remonte, parce que le décor était tellement précis. Mais une fois de plus, il fait preuve de dignité. Il fait des blagues, il rigole, il parle aux gens, mais on sent bien que derrière, ça le choque.
Vous êtes très investi dans ce personnage, vous avez une responsabilité incroyable, ce n'est pas écrasant à certains moments ?
C'est épuisant, mais c'est le meilleur moteur qui soit. Effectivement. J'avais la responsabilité de ne pas le décevoir. Je ne voulais absolument pas qu'il se sente de quelque façon que ce soit, trahi ou incompris. Ça comptait énormément pour moi. Et je me suis dit j'ai envie de faire partie aussi de m'aligner derrière ces gens qui lui rendent justice.
Le cinéma est à l'arrêt, comment le vivez-vous ?
Je le vis comme ça vient. Quel pouvoir j'ai face à ça ? Je n'en ai pas. J'aurais aimé pouvoir présenter ce film en salles, voir la réaction des spectateurs parce que c'est le cinéma. Maintenant, je ne sais pas où ça ira. Je rêve que les salles de cinéma rouvrent, tout ce qu'on a à faire, c'est de serrer les dents et attendre parce que moi, je n'ai aucun pouvoir sur ça. Alors c'est choquant de devoir traverser une pandémie. C'est une chose que je n'aurais jamais imaginé vivre, ça appartenait à la science-fiction, non ?
Ce qui me choque peut-être, ce sont les médiums et les médias. Une information en chasse une autre, une désinformation vient frapper une information. En fait notre société est à l'image du numérique, c'est-à-dire 0 /1. C'est devenu binaire, dire quelque chose, ça veut dire qu'on est contre autre chose, ne rien dire, c'est dire qu'on approuve autre chose. Et tout le monde a un avis.
Moi, je n'ai pas d'avis sur tout. Et parfois, un avis aussi se fait dans le temps, dans l'expérience, dans des échanges et des échanges calmes. D'accord, si tu veux me faire changer d'avis, parle-moi ! Racontons nous des choses, échangeons. Il y a une espèce d'hystérie constante, moi je ne regarde plus la télé !
Par Thierry Fiorile