Enquête sur la protection sociale de l’OIT en Mauritanie, après validation, appel à l’appropriation des résultats

jeu, 01/04/2021 - 10:00

Après deux jours de présentation et de débats, les résultats de la première enquête sur la protection sociale de l’OIT en Mauritanie ont été validés au cours de la clôture de la rencontre, mercredi 31 mars 2021 à Nouakchott, par les différents acteurs concernés par la problématique. Parmi les recommandations, l’appel à un soutien du gouvernement mauritanien pour l’appropriation des résultats de l’enquête et l’adaptation de ses indicateurs au contexte national. Cette session a été organisée par le Ministère de la Fonction Publique avec l’appui du Bureau International du Travail (BIT). Compte-rendu.

Pendant deux jours, les 30 et 31 mars 2021, les départements sectoriels de l’Etat mauritanien et les organismes publics concernés par la protection sociale, ont suivi plusieurs présentations sur l’Enquête de la sécurité sociale de l’OIT, première du genre en Mauritanie. Ils ont suivi également une formation sur les outils de l’enquête ainsi que le calcul des indicateurs de la protection sociale. Les acteurs impliqués dans cette réflexion sont la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), la caisse d’assurance maladie (CNAM), l’office national de la statistique (ONS), l’Office de la médecine du travail (OMT), l’Agence Taazour, ainsi que des agences spécialisées des Nations Unies, comme le PAM et l’UNICEF, des personnes ressources indépendantes et les syndicats des travailleurs.

Organisée par le Ministère de la Fonction Publique, du Travail et de la Modernisation de l’Administration, avec l’appui du BIT, cette session a été animée depuis Genève par visioconférence par deux experts, MM. Pascal Annycke et Zhiming Yu, spécialistes Protection Sociale, en plus du consultant national, M. Moctar Laghlal, qui a mené l’enquête depuis 2019.

Projet pilote du Guidimagha sur la protection sociale

Après avoir décliné les objectifs de l’atelier, M. Cheikh Thiam du BIT Mauritanie, a introduit les objectifs de l’atelier avant de céder la parole à M. Marc Ninerola, Coordinateur du Projet Bridge en Mauritanie pour présenter le projet de modèle intégré de protection sociale au Guidimagha et le Fonds ODD (SDG Fund).

Le SDG Fund est un fonds commun destiné à aider les pays à progresser vers les ODD et l’Agenda 2030. La Mauritanie fait partie des 36 pays déclarés éligibles à ce fonds qui s’articule autour de quatre axes. Il s’agit pour le premier axe de l’articulation des filets sociaux avec l’appui technique du BIT, de l’Unicef, du PAM et de la Banque Mondiale. Le deuxième axe concerne la promotion des services sociaux de base et il est piloté par l’Unicef.

Le troisième axe est relatif à la mise en place d’un régime d’assurance sociale. Il est conduit par le BIT et l’Unicef. Le quatrième axe porte sur le dialogue technique et politique pour la mise en œuvre de la Stratégie nationale de la protection sociale (SNPS), sous l’égide du BIT, de l’Unicef et du PAM.

La mise en œuvre de ce projet a mis à jour un problème d’articulation et de coordination, qui serait en train d’être corrigé, à travers le dialogue entre les différents intervenants au niveau de la région du Guidimagha pour harmoniser leurs interventions. Selon les intervenants, le Comité de pilotage de la SNPS est bien indiqué pour jouer ce rôle de coordination.

Intervention sur l’Enquête sur la sécurité sociale et le Rapport mondial

Inspirée des « Principes de l’Enquête de l’OIT » et de l’Agenda 2030 de l’ODD 1 sur la pauvreté (cible 1.3), cette partie a été développée par Pascal Annycke, avec un focus sur l’état des lieux de la protection sociale en Mauritanie sur la base des résultats de l’enquête.

Ainsi, le rapport genre, montre selon lui, un grand déséquilibre au détriment des femmes. Ainsi, par rapport aux bénéficiaires des régimes de protection sociale, la CNSS gère 470.000 personnes, dont 241.000 hommes contre 229.000 femmes, alors que la Caisse des Fonctionnaires de l’Etat gère 28.000 personnes, dont 21.000 hommes et 7.000 femmes. Par contre, 90 % des bénéficiaires des services de Tekavoul de l’Agence Taazour, qui sont au nombre de 205.000, sont des femmes.

En matière de dépenses et de recettes des régimes de la protection sociale, tous sont excédentaires, sauf la Caisse des Fonctionnaires de l’Etat qui accuse un lourd déficit. Pour 254 Millions MRU de recettes, ses dépenses s’élèvent à 1 Milliard 530 Millions MRO. La CNSS, la CNAM, les programmes non contributifs comme Taazour, la Médecine du Travail et le Forfait obstétrical, affichent des excédents.

Dans les rapports mondiaux sur la protection sociale, la Mauritanie était absente à cause de l’absence de données. Ce que cette enquête permettra de combler et selon Pascal Annycke, le pays figurera dans le prochain rapport mondial grâce aux informations fournies selon les « principes de l’enquête de l’OIT » qui viennent d’être intégrés dans cette première enquête sur la protection sociale.

Etat des lieux de la protection sociale en Mauritanie

Le Consultant du BIT, Moctar Laghlal, qui a mené l’enquête entre le 1er septembre et le 30 novembre 2020, sur la base de données recueillies en 2019, a présenté le contexte de l’enquête et procédé à l’inventaire des régimes de protection sociale existants en Mauritanien ainsi que l’inventaire des prestations fournies. Le constat est qu’avant l’entame de son travail, il n’existait pas d’enquête quantitative, exhaustive et permanente sur la protection sociale en Mauritanie.

Il y avait des problèmes de suivi et d’évaluation des stratégies et des programmes de sécurité sociale. D’où des problèmes de suivi de l’avancement de la Mauritanie dans ses engagements de développement durable, notamment en ce qui concerne l’ODD 1.3 relatif à la protection sociale universelle.

Il a ensuite passé en revue les bénéficiaires des régimes de protection sociale, en l’occurrence, certaines catégories comme le forfait obstétrical, la médecine du travail, les programmes d’indigence, entre autres.

Il a par la suite présenté un tableau des prestations fournies par la CNSS, comme la pension vieillesse, la pension d’invalidité, l’allocation aux survivants, les indemnités d’accidents de travail, la pension maternité et les allocations familiales.

Mais l’inquiétude persiste au niveau de la caisse des fonctionnaires de l’Etat dont les dépenses suivent, selon les résultats de l’enquête, une tendance à la hausse avec un taux annuel de croissance de 9,14 % entre 2012 et 2019. Les cotisations ont connu des fluctuations faibles sans augmentation significative sur la même période. Quant au déficit, il a continué d’augmenter, passant de 310 millions MRU en 2012 à 780 millions MRU en 2019.

Ensuite, le consultant a passé en revue les prestations fournies par la CNAM, l’Office de la médecine du Travail et des programmes non contributifs, ainsi que les contributeurs des régimes de sécurité sociale.

Calcul des indicateurs de la protection sociale

Au cours de la deuxième journée des travaux, les participants ont suivi une formation sur le calcul des indicateurs, en visioconférence avec M. Ziming Yu et Pascal Annick. Tous les deux ont passé en revue les 7 indicateurs de base, plus l’indicateur agrégé. Il s’agit des indicateurs relatifs à la proportion des personnes âgées couvertes par une pension de retraite, les personnes gravement handicapées recevant des prestations sociales (elles représentent 3,1% de la population), les femmes bénéficiaires d’une indemnité d’accouchement, les personnes couvertes pour accidents de travail, les personnes vulnérables couvertes par des socles ou systèmes.

L’indemnité de chômage étant inexistant en Mauritanie, il est prévu de l’exclure de la liste des indicateurs pour le pays. Enfin, l’indicateur agrégé qui concerne la proportion de personnes couvertes au moins par une branche de la protection sociale. Ces indicateurs sont ainsi calculés sur la base d’un numéraire représentant les bénéficiaires et un dénominateur relatif à des variables spécifiques à chaque indicateur.

La possibilité d’étendre ces indicateurs, qui de huit pourraient aller jusqu’au vingt-huit indicateurs des ODD a été évoquée. La possibilité serait ainsi, en ce qui concerne la Mauritanie, d’étendre les prestations en matière de protection sociale aux enfants et aux personnes âgées sans retraite, et pourquoi pas aux chômeurs à la recherche d’emploi.

Revenant sur les indicateurs en Mauritanie, Moctar Laghlal a indiqué que les personnes vulnérables couvertes par une prestation sociale représentent 4, 9% de la population, les personnes pauvres couvertes par une prestation, 14, 8%, les personnages bénéficiant d’une pension de retraite, 16, 2%.

Le nombre de personnes actives qui cotisent pour une pension de retraite représentent 10% et les personnes gravement handicapées percevant une indemnité sont 0,7%. Ici, ne sont pris en compte que ceux qui reçoivent une prestation en espèce. Les 2140 personnes handicapées prises en charge par le Ministère des Affaires Sociales (CNAM) ne sont pas comptabilisées, car dans le système de protection sociale, la prise en charge médicale est considérée comme une prestation en nature.

Idem pour les femmes bénéficiant d’une indemnité d’accouchement (en espèce). Elles ne représentent que 0,2%, bien qu’il existe plus de 50.000 femmes prises en charge au forfait obstétrical (prestation en nature). Les allocations familiales représentent 5,1% par rapport au nombre d’enfants.

Ainsi, le nombre de personnes bénéficiant d’au moins une prestation dans une des branches de la protection sociale en Mauritanie est de 6,6%.

Les résultats par genre fait apparaître une grande disparité entre homme et femme.
En termes de comparaison, le nombre de personnes bénéficiant au moins d’une prestation sociale dans une des branches de la protection sociale est de 45% au niveau mondial, 17,8% sur le plan africain et 6,6% en Mauritanie.

En matière d’allocations familiales (pour les enfants), il est de 34,9% dans le monde, 15,9% en Afrique et 5,1% en Mauritanie.

En matière de pension de retraite, 67,9% en profitent au niveau mondial, 26,9% en Afrique et 16,2% en Mauritanie.

Cheikh Aïdara

REACTIONS

Taleb Khyar Cheikh Maelainine, Programme national des transferts sociaux Tekavoul (Délégation Générale Taazour)

« La protection sociale est une question prioritaire pour le gouvernement mauritanien, surtout en cette période. Nous savons qu’il y a déjà une stratégie nationale pour la protection sociale qui a été approuvée. Maintenant, il s’agit d’opérationnaliser cette stratégie et de la rendre plus efficace. Tout ce que nous suivons maintenant, au cours de cet atelier, comme mesures et action, s’inscrit dans le cadre de cette opérationnalisation de gestion de la stratégie. La couverture sanitaire, la réaction aux chocs, l’appui aux populations vulnérables, aux personnes handicapées…Dans tout cela, l’objectif du gouvernement est d’universaliser la protection sociale. Je pense que d’importants efforts ont été entrepris dernièrement, notamment dans l’extension de cette couverture sanitaire qui a touché tous les ménages en situation d’extrême pauvreté. C’est ce qui a porté le nombre d’assurés en Mauritanie à plus d’un million de personnes, en intégrant les 100.000 ménages les plus pauvres dans le système sanitaire et leur prise en charge par la CNAM, à travers un protocole d’accord signé entre le Ministère de la Santé, la CNAM et Taazour. »

Mamadou Hamady Bâ, Secrétaire exécutif chargé des Affaires économiques et Sociales (UTM)

« Nous pensons, au niveau de l’Union des travailleurs de Mauritanie (UTM), que le premier problème que nous avons aujourd’hui, c’est la révision en profondeur des textes qui régissent la sécurité sociale en Mauritanie. Il s’agit de textes hérités de la colonisation. On est encore régi dans ce domaine par la loi 67-039 du 3 février 1967, alors que nous sommes en 2021. Donc, la sécurité sociale n’a pas évolué ni dans les taux de prestation ni dans le nombre de contributeurs. Vous savez que nous sommes dans un pays dont le tissu économique est très faible et où les entreprises sont de type familiale. La majeure partie des travailleurs sont dans le secteur informel et ils doivent être pris en compte dans le système de la sécurité sociale. Il faut aussi penser à formaliser ce secteur. En ce qui concerne les prestations, le filet de protection sociale n’a pas évolué depuis plus de quarante ans. Ce sont toujours les mêmes prestations et encore très faibles. Je vous donne l’exemple des prestations familiales qui de 1967 à 1982, était de 250 UM par enfant et par mois. A partir de 1982, l’Etat a augmenté cette allocation à 50 UM. Depuis, cette date, elle est de 300 UM par mois, soit 900 UM par trimestre. Moi, père de famille, cette prestation ne m’est pas destiné, mais à mon enfant, pour ses frais de scolarité, ses soins, etc. Dites-moi, ce que 900 UM représente aujourd’hui dans la scolarisation des enfants. Un dialogue social est impératif pour réviser ces textes de la sécurité sociale ».