Il est de plus en plus admis que dans les guerres complexes d’aujourd’hui, il y a rarement de vainqueur ou vaincu. Autant les conflits armés se prolongent et gagnent en intensité, autant ils perdent en popularité, et leur financement sur le dos du contribuable devient problématique. C’est l’une des raisons qui explique la raréfaction des guerres conventionnelles intra étatiques. La lutte contre le terrorisme doit, elle aussi, être perçue sous cet angle. La conduire en misant sur la puissance militaire a montré ses limites.
Des fronts de plusieurs types, et l’omniprésence du terrorisme.
Les enjeux et les défis stratégiques sont multiples et variés. Pour les Américains et leurs alliés occidentaux, il y a des impératifs ou cibles prioritaires qui ont pour noms : Chine, pays émergents, changements climatiques, l’après pandémie de covid 19, trouver un nouvel accord de dénucléarisation avec l’Iran, investir les champs d’application du multilatéralisme…
Il s’agit de nouveaux risques et défis géopolitiques qui ne sont pas forcément militaires ou violents. Comme déjà évoqué, ils concernent d’abord la compétition entre les grandes puissances, notamment entre la Chine d’un côté, les Etats-Unis et les pays occidentaux d’autre part. Contrairement à la bipolarisation du monde, qui avait accompagné la Guerre froide, les rivalités d’aujourd’hui entre les grandes puissances n’impliquent pas forcement des frictions ou des ruptures radicales et violentes. Il y aura toujours entre les adversaires des rapports d’interdépendance et des passerelles de dialogue de plusieurs ordres : économiques, financiers, diplomatiques…
Le Secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, explique très bien ce genre de rapports fluctuants en décrivant la nature en dents de scie des liens de son pays avec la Chine, selon les contextes :
« Notre relation avec la Chine sera concurrentielle quand elle doit l'être, collaborative quand elle peut l'être et antagoniste quand c'est nécessaire »[i].
L’environnement et le multilatéralisme constituent d’autres champs de rivalité géopolitique. La nouvelle administration américaine s’y engage à fond, et à "100 à l'heure", en vue de rattraper les temps et les occasions perdus sous l’ancien président Trump. Le sommet virtuel sur les changements climatiques organisé les 22 et 23 avril courant par Joe Biden en est une belle illustration. Dans le même sens de reprise du leadership américain, mais dans le domaine multilatéral, s’inscrivent la réintégration par les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat et sa réintégration des institutions et programmes onusiens, tels que l’OMS, l'UNRWA[ii]…
Dans ces conditions, ‘’guerroyer contre le terrorisme passe donc au second plan, pour l’administration Biden et ses alliés’’, serions-nous tentés de dire. Mais c’est aller un peu trop vite en besogne.
Un combat permanent, aux visages multiformes et variables…
En fait, la complexité du thème de la lutte contre le terrorisme, le caractère mutant du concept et sa gravité le rendent omniprésent dans toutes les politiques, comme dans la réflexion stratégique. Il s’agit d’un combat permanent où les actions à mener se conjuguent à tous les temps et tous les modes : au présent, au passé, au futur… au conditionnel, à l’impératif…
Autrement dit : la lutte contre le terrorisme est en mouvement perpétuel. C’est pourquoi les deux puissances occidentales les plus engagées sur des fronts extérieurs de lutte contre le terrorisme, sont en train de revoir leurs politiques en la matière.
Les Américains se rendent compte que, contrairement à la vision va-t-en guerre de Bush « junior », il est impossible d’éradiquer le terrorisme en lui opposant uniquement la puissance militaire, même si celle-ci est bien supérieure à l’ennemi. Après moult hésitations et tergiversations, ils procèdent actuellement à la mise en place du processus final de retrait de leurs troupes de l’Afghanistan. Il aura lieu dans un mois, selon la planification du Pentagone. Cependant, l’opération semble assez laborieuse. D’autant plus que l’administration américaine ne veut pas lâcher le régime afghan et ses alliés locaux, alors qu’elle pense en même temps aux voies et moyens lui permettant de composer avec les Talibans.
Malgré cette contradiction, qui pourrait être lourde de conséquences, le désengagement militaire américain dans des délais aussi brefs, tel que présenté par l’équipe de Joe Biden, parait irréversible. Aura-t-il des répercussions allant dans le sens d’apaisement dans d’autres régions du monde ? Certainement.
En effet, de leur côté, les Français se sentent sous pression de plus en plus insupportable au Sahel. Leur effort de guerre dans cette région est trop coûteux pour être soutenu plus longuement. Le réajustement du dispositif Barkhane est à l’ordre du jour depuis plusieurs mois. Tout portait à croire qu’il serait allégé rapidement. Toutefois, la mort subite d’Idriss Déby, le grand allié militaire de la France dans la sous-région, pourrait retarder l’échéance.
… le risque de contracter le virus passe cette fois au second plan !
La présence d’Emmanuel Macron aux obsèques de l’ancien président tchadien en dit long sur l’intérêt qu’accorde la France à l’après Idriss Déby. Surtout que le président français n’avait pas pris part auparavant, en présentiel, au somment du G5-Sahel qui s’est tenu à N'Djaména en février dernier. C’est « la crise sanitaire de covid 19 » qui l’en a empêché, selon l’explication donnée par l’Elysée, et ce bien qu’il est censé être immunisé : il a attrapé la maladie deux mois plutôt, en décembre 2020.
Mais aujourd’hui, l’appel lancé à l’occasion des funérailles d’Idriss Déby, à partir de la capitale tchadienne, par Macron, pour un dialogue inclusif entre Tchadiens, prouve que les soucis géostratégiques actuels de ce dernier transcendent ses craintes personnelles de la transmission du SARS-CoV-2. D’autre part, son discours devrait être vu comme un message d’apaisement général, qui ne se limite pas seulement aux protagonistes tchadiens. Il s’adresse implicitement à tous les acteurs locaux impliqués dans les conflits armés au Sahel.
Y sont inclus les mouvements et groupes rebelles dans d’autres pays, notamment au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Et il est illogique d’en exclure les groupes « djihadistes », alors que ceux-ci sont les plus actifs, les mieux structurés et les plus efficaces sur le terrain. Dialoguer avec eux s’impose. La France ne pourra continuer de rejeter cette évidence déjà mise en marche par ses partenaires sahéliens, notamment par les autorités maliennes et burkinabés.
En outre, elle y est encline du fait que le terrorisme qualifié, à tort ou à raison, ''d'islamiste'' n’est plus l’unique ennemi qui menace l’Occident et le monde, en matière de guerre asymétrique. L’occupation du Capitole par les partisans de Donald Trump, la poussée de l’extrême droite, des mouvements populistes, de la xénophobie à travers la planète… sont autant de facteurs crisogènes qui font le lit d’un extrémisme violent et d’un terrorisme amorphe, aux couleurs multiples : « blanc » en Europe et en Amérique, « jaune » en Asie, ethniciste, tribaliste ou religieux en Afrique et dans d’autres régions du monde.
Y faire face requiert la mise en œuvre d’une approche multidimensionnelle. La puissance militaire constitue l’un de ses piliers essentiels. Mais pas seulement : le dialogue et la négociation aussi. Sur ce point, il y’aurait sans doute moins de controverses quand il s’agira de suprématistes blancs. Discuter ou négocier avec eux serait plus facile à faire accepter au sein des opinions publiques occidentales que lorsqu’il s’agit de terroristes ‘’ islamistes’’. Comme quoi, la mauvaise règle discriminatoire, « deux poids, deux mesures », n’épargne pas la lutte contre le terrorisme.
El Boukhary Mohamed Mouemel