Kidnappé par la Direction de la Sûreté d’Etat (DES/police politique) en 2001, sous le régime de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya et remis aux Américains, en violation de toutes les règles de procédure, Mohamed Sellahi a passé plus de 10 années dans le célèbre bagne de Guantanamo.
Une histoire inédite et surtout douloureuse, qui a fait l’objet du célèbre film «The Mauritanian» projeté partout dans le monde avec un immense succès au cours des derniers mois. Cette œuvre de l’américain Kevin Macdonald accompagnera la Mauritanie à l’Exposition universelle Dubaï 2022.
Le film a été projeté en public à l’ancien Centre international des conférences de Nouakchott (CICN), il y a quelques jours. Le prisonnier revient sur l’odyssée d’un enlèvement qui l’a conduit dans plusieurs pays et centres de détention du monde avant le bagne militaire des Etats-Unis.
Mohamed Sellahi explique que ses malheurs «sont partis d’un coup de téléphone complètement innocent d’un cousin, qui a utilisé un cellulaire appartenant à Oussama Ben Laden, pour lui demander de transférer de l’argent depuis l’Allemagne, au profit de son père malade se trouvant en Mauritanie. Les autorités américaines ont sollicité leurs homologues allemands pour m’arrêter, mais celles-ci ont estimé qu’un simple coup de fil ne pouvait servir de motif valable à une arrestation».
Après l’épisode du malheureux coup de téléphone en Allemagne, le Mauritanien fait cap sur le Canada pour poursuivre ses études.
Déterminés et considérant qu'en 2001 «la Mauritanie n’est pas un pays de droit», les Américains ont convaincu les Canadiens pour l'expulser vers Nouakchott. Parti du Canada sous contrainte, j’ai transité par le Sénégal. Arrêté en janvier 2000, "les services de ce pays voisin ont estimé n’avoir rien à me reprocher après interrogatoire", poursuit-il.
Dans le même temps, la police politique en Mauritanie a entrepris des manœuvres pour faire croire à la maladie de sa mère, qui lui passa un coup de fil pour qu'il "vienne auprès d’elle".
Une fois revenu à Nouakchott, j’ai été interrogé par la police politique, puis remis en liberté. Les Américains ont demandé aux services mauritaniens de m’enlever mon passeport.
Après les évènements du 11 septembre 2001, "j’ai été enlevé et remis aux Américains, détenu au secret dans plusieurs endroits", explique-t-il. "J’ai fait plusieurs centres clandestins de détention à travers le monde, avant d’arriver au bagne de Guantanamo. J’y ai subi de multiples tortures: noyades, viols répétés, etc."
Après plus de trois années de détention, il a finalement rencontré une avocate. "J’ai toujours voulu partagé mon histoire, notamment à travers l’écriture", confie-t-il.
Il parle du film, présentant le Mauritanien authentique «avec une culture arabo-africaine, pacifique, qui aspire à un Etat de droit» au même titre que les autres peuples.
Maître Brahim Ebety, actuel bâtonnier, avocat de Sellahi, qu’il est parvenu à localiser en Jordanie après plusieurs années de recherches, revient sur l’odyssée rocambolesque de son client. «L’affaire Mohamedou commence par son enlèvement et sa remise aux Américains». Il parle «des efforts déployés dans le cadre de l’Union internationale des Avocats (UIA). L’avocat loue «la persévérance, le courage et la force de l’homme» qu’il qualifie «de rare».
La robe noire insiste également sur l’esprit de dépassement de Mohamed Sellahi, qui a pardonné aux auteurs de ses souffrances.
Par De notre correspondant à Nouakchott
Amadou Seck