La commission d’enquête parlementaire a presque failli annoncer être confrontée à des circonstances contraignantes qui entravent sa mission, en raison des difficultés auxquelles elle s’est exposée au cours de l’accomplissement de son travail, a affirmé le Vice-président de la commission d'enquête parlementaire, le député Souvi Ould Cheibany.
Les circonstances liées à la pandémie du Covid-19 ont constitué un obstacle qui entravait le travail de la commission, a-t-il dit, précisant que la maladie avait empêché les experts avec lesquels elle a signé des contrats, de se rendre dans le pays.
Ces difficultés sont entre autres l’absence d'expérience antérieure à mettre à profit, a-t-il ajouté, qualifiant la commission d’inédite dans l'histoire du parlement mauritanien.
Il a attiré aussi l’attention sur la diversité des dossiers et le besoin d'experts juridiques, financiers et autres dans différents domaines, considérant que la mission d’enquête est difficile en soi, louant la forte détermination de ses membres et saluant le soutien dont elle a bénéficié de la part des groupes parlementaires, de l'opinion publique et particulièrement des journalistes et des blogueurs.
Ci-joint l’intégralité de cet entretien :
Question : A quel stade est arrivé le rapport d'enquête après l’approbation de son transfert à la justice?
Ould Cheïbany: Tout d'abord, je remercie l'agence Alakhbar pour son rôle de pionnier qui mérite d'être salué.
Nous avons trouvé, dans le cadre de la mission que nous avons entreprise, que bon nombre de données et de documents, avaient été révélés précédemment par Alakhbar, ce qui fait d’elle en réalité, un partenaire national important dans la mise à nu de la corruption et dans la lutte contre la gabegie.
Quant à la réponse à votre question, le rapport de la commission est actuellement entre les mains du ministre de la Justice. Il s’agit de la synthèse et des rapports des experts sur lesquels ce résumé s’est fondé, en plus d'une recommandation qui avaient été présentés en séance plénière au Parlement.
Tous ces éléments se trouvent entre les mains du ministre de la Justice et ont été officiellement remis à son Cabinet contre un reçu adressé à l’Assemblée nationale.
Question : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par la commission dans l’accomplissement de sa mission?
Ould Cheibany: Comme vous le savez, cette mission n'est pas facile, voire réellement difficile.
Premièrement, l’enquête est difficile. De nombreux dossiers sont complexes et ne portent pas sur un seul domaine. Certains d'entre eux ont besoin d'experts juridiques, d’autres d’experts financiers et d’autres encore de professionnels en électricité, dans les infrastructures et d'autres domaines où les experts nationaux font défaut. C'est une mission difficile en soi.
A cela, s’ajoute l’absence d’expérience antérieure capable d’être capitalisée. Cette mission est sans précédent dans l'histoire du Parlement mauritanien.
Les conditions sanitaires, notamment la pandémie du coronavirus ont représenté également un écueil qui entravaient le travail. En effet, la commission s’est trouvée dans plus d’un cas, sur le point d’annoncer l’existence de conditions de force majeure qui bloquent son travail.
Nous n'avons pas pu non plus communiquer directement avec les experts engagés par la commission, lesquels n’ont pas pu entrer dans le pays en raison de la pandémie. Nous n’avons bénéficié donc de leur travail que pendant un délai d'un mois environ.
Mais la volonté d’Allah et la détermination des membres de la commission ainsi que le soutien dont elle a bénéficié de la part des groupes parlementaires et de l’opinion publique et plus particulièrement des journalistes et des blogueurs, tous ces facteurs conjugués ont condamné la commission à s’acquitter de son devoir dans les délais impartis.
Question: La commission a-t-elle connu des différends internes?
Ould Cheïbany: par honnêteté, la commission s’est efforcée de travailler en équipe harmonieuse loin des querelles partisanes, bien que ses membres aient de références politiques multiples, comme elle a évité de recourir au vote et préféré que les décisions internes soient prises de manière consensuelle, le cas échéant, et cela est arrivé, ces décisions sont soutenues par une majorité.
Ce que l'on peut dire ici, c'est que la commission a tenu à ce que les décisions soient consensuelles, ce qui a été fait.
Bien sûr, l’existence de désaccords est chose naturelle et ils ont eu lieu parfois, ont duré pour certains une semaine, d’autres deux ou trois semaines. Mais nous n'avons pas accepté que les divergences arrêtent notre travail, œuvrant à les mettre à côté et à les dépasser en attendant de leur trouver une issue et qu’après chaque partie renonce à ses réserves.
Question: Certains ont accusé la commission à propos des convocations comme il est question de ciblage. Qu’en dites-vous?
Ould Cheïbany: Il faut préciser que la commission n'a pas considéré la question de la convocation comme une atteinte ou une humiliation faite à une personne. Sa mission est de recueillir des informations et de convoquer le responsable, la personne renseignée et les témoins aussi.
Par conséquent on ne peut dire que les personnes convoquées l’ont été à des fins d’humiliation. S'il y a une perception du genre chez l'opinion publique, ce n’est absolument pas le cas chez la commission.
Nous nous concentrons dans la convocation sur les degrés de responsabilité de la personne par rapport au dossier objet des investigations d’une part et de l'importance des informations que la commission s’attend à recueillir en l’auditionnant, d’autre part.
Ainsi des personnalités se trouvaient dans un département précis sans avoir des responsabilités pour les dossiers pour lesquels ils peuvent être convoqués.
La convocation s’inscrit parfois dans le contexte, d’où la différence entre la convocation de certaines personnes de celle des individus impliqués, d’où cet écart qui repose donc sur ces considérations.
La commission a tenu plus de 150 séances d'audience, au cours desquelles elle a entendu trois anciens Premiers ministres. Les convocations ont couvert 8 des ministres actuels, 26 anciens ministres, 18 directeurs d'une grande société et de nombreux hauts fonctionnaires, directeurs et autres.
Rien ne nous empêchait de convoquer quiconque, à moins que la personne ne soit pas liée au dossier ou que les informations dont elle dispose sont confirmées par les documents. Les convocations visaient aussi à apporter davantage de clarifications.
Si certaines personnes constatent que quelqu'un n'a pas été convoqué, cela ne signifie pas nécessairement une discrimination, mais plutôt du fait que les informations avaient été déjà obtenues.
A propos de la Fondation SNIM de bienfaisance, il y a des cas où les documents dispensent de la convocation, tels que des documents signés par des responsables, dont le contenu est clair et le dépouillement fait par les experts est également clair.
Dans ce cas, nous n’avons pas besoin de convoquer les intéressés et parfois, nous obtenons tardivement un document, qui ne permet plus d’adresser des convocations.
Question: Qu'en est-il des coulisses relatives à la convocation de l'ancien président? Y a-t-il un désaccord entre vous à ce sujet au sein de la commission?
Ould Cheïbany: nous n'avons pas été en désaccord quant à la convocation de l'ancien président. Lorsque son nom a été mentionné, nous avons décidé de le convoquer et préparé une lettre à envoyer à son domicile, mais nous avons appris qu'il n'était pas présent ces temps-ci à son domicile. Nous ne nous sommes pas entendus, s’il était suffisant ou non d'envoyer la lettre à sa résidence et la considérer comme reçue, avant de convenir de le convoquer mais ultérieurement, pour être le dernier à été appelé à se présenter, à la fin de toutes les autres auditions.
Puis nous lui avons adressé un courrier à déposer à son domicile, que son gardien s’est abstenu, sous ses consignes de réceptionner puis plus tard nous avons chargé un huissier de justice de lui remettre la lettre.
Question : Avez-vous consulté un expert juriste à ce sujet?
Ould Cheïbany: Oui, nous avons un bureau d'experts et un expert constitutionnel. D’ailleurs toutes nos démarches se font après avoir sollicité leurs avis.
Le rôle de la commission est de collecter des informations et non pas de mener des interrogatoires avec les personnalités interpelées. Notre convocation de l'ancien président avait pour fin d’obtenir des informations. Nous avons le droit de le faire avec quiconque qui dispose de ces informations, quant à l’interrogatoire, c’est une autre affaire.
Question: Quelle évaluation faites-vous des préjudices économiques résultant des violations mentionnées dans le rapport de la commission?
Ould Cheïbany: L’ampleur des préjudices dans les dossiers affecte l’Etat et la société. Il existe des dossiers où ces impacts sont très grands, tels que les marchés relatifs aux infrastructures de façon générale, puisque 90% de ces marchés s’effectuaient en dehors de la loi et leur montant dépasserait les 400 milliards ouguiyas anciennes.
Ces marchés ont été octroyés de gré-à-gré soit sous d'autres formes illégales et par conséquent sans appel d’offres, ni publicité, ni souci de la qualité.
Ce qui fait que les préjudices sont énormes, bien que la commission n’ait examiné que l’aspect relatif à l’attribution des marchés, où l’Etat perd des montants onéreux.
Ainsi la commission ne s’est pas penchée sur l’aspect relatif à la qualité des projets. Il faut se poser la question, si après avoir consenti ces sommes considérables, la réalisation des projets est-elle conforme à la qualité requise?
Le dossier des containers est aussi un projet stratégique avec ses dimensions économiques, environnementales et sociales, dans lequel, l'Etat a perdu sur tous les plans.
Le directeur technique a constaté dans son étude, l’existence d’un écart entre le coût fourni par l'entreprise et le coût réel de 100 millions de dollars, que la société a incorporé dans sa facture, et que l'État ne pourra en bénéficier avant que l'entreprise ne la recouvre.
Ce projet a également des préjudices fiscaux, sur le port et les recettes de l'État provenant des activités assurées par le port ainsi que sur l'environnement comme il représente stratégiquement, une mainmise partielle de la souveraineté de l'État.
Question: Qu'est-ce qui vous a le plus surpris lors de la mission de la commission?
Ould Cheïbany: En fait, la corruption remarquée dans le dossier de l'énergie était gigantesque. Il y a de la corruption avec des sommes importantes, notamment en ce qui concerne les marchés de haute tension.
Ce qui a captivé mon attention, c’est le fait que les fonds des pays auprès desquels la Mauritanie contracte des prêts, notamment l'Arabie saoudite, stipulent que ces projets soient exécutés par des sociétés saoudiennes, alors que j'ai remarqué à travers la différence entre l'offre avec laquelle sera fait le marché de haute tension et celle exécutée par la société indienne était d'environ 40 millions de dollars. Nous avons constaté par ailleurs qu’il n y pas de réponses sauf qu'il s'agit de commissions faites aux Saoudiens.
Tout d'abord, le mal est qu'il impose de traiter avec l'Arabie saoudite, puis, ces sommes qui se présentent sous forme de commissions, enfin, l'affaire est tranchée en leur faveur, non par appel d'offres, mais plutôt par un arrêté présidentiel, et parfois le ministre concerné n’en ait pas informé. La perte est grande et la conduite ne respecte pas les mesures et les procédures.
Question : Enfin, qu'en est-il du sort de ce dossier?
Ould Cheibany: En tant que député et mauritanien, il me semble que l’expérience de l’enquête menée par le parlement puis transmise à la justice représente une étape importante.
Sans le soutien de l’opinion publique et le niveau de prise de conscience auquel nous sommes arrivés, nous n’aurions pas réussi cette mission sur laquelle il est impossible de revenir.
Pour cela, notre vœu est que ce dossier suit son cours normal.
Comme le Parlement a exercé son rôle de contrôle sur le gouvernement et a émis des recommandations concernant la présence dans le gouvernement de fonctionnaires dont l’intégrité et la conduite sont suspectes, en raison de cette gestion, ceci constitue un bon qualitatif de la mission de l’Assemblée nationale dont il faut poursuivre le processus, que la justice s’acquitte de son rôle dans l’enquête «pour que sur preuve, pérît celui qui (devait) périr, et vécût, sur preuve, celui qui (devait) vivre » (Coran).
Quiconque est victime d’une erreur, justice lui sera rendue et quiconque l’a commise en assumera la responsabilité.
Les actuelles autorités et le président en particulier ont devant eux l’opportunité de mener le pays de l’avant, de réaliser un bon appréciable dans le domaine de la transparence, de la bonne gestion et de la gouvernance. Dévier de cette voie, qu’Allah nous en préserve, sera un pas négatif et frustrant, si par intervention le dossier est arrêté, ce qui pourra avoir des conséquences désastreuses.
Edité par Al-akhbar
Traduit de l’Arabe par Cridem