Marié à la fille d'un ancien président angolais, Carlos Manuel de São Vicente ouvrait des comptes à Genève pour lui, son épouse, ses trois enfants, ses sœurs, ses neveux et ses nièces. La justice suisse l'accuse de blanchiment.
Il ne s'agit plus cette fois d'Isabel dos Santos, surnommée la « princesse de Luanda », la fille de José Eduardo dos Santos, le président de l'Angola de 1979 à 2017, mais d'Irene Alexandra da Silva Neto, la fille du précédent, le premier président d'Angola, Antonio Agostinho Neto, mort à Moscou en 1979.
Ou plutôt de son mari, Carlos Manuel de São Vicente, à la tête d'une multitude de compagnies d'assurances et de réassurances, domiciliées en Angola, aux Bermudes et au Royaume-Uni. Seul point commun entre les deux familles régnantes : des centaines de millions de dollars qui pourraient avoir été pompés dans les caisses du pays.
Antonio Agostinho Neto de même que José Eduardo dos Santos sont issus du Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA), une organisation anticolonialiste marxiste-léniniste, alliée à l'époque à l'URSS et à Cuba. Irene Alexandra da Silva Neto a d'ailleurs été députée et vice-ministre de la Coopération. Quant à son mari, Carlos Manuel de São Vicente, économiste de formation, il se retrouve à la tête d'un géant de l'assurance en Angola, le groupe AAA, très lié à Sonangol, la compagnie pétrolière étatique d'Angola.
Comme le résume le site d'investigation Gotham City, qui révèle l'affaire, par décret présidentiel, « José Eduardo dos Santos confie le monopole de la gestion des risques des activités pétrolières du pays à Sonangol. Celle-ci aurait ensuite transféré cette activité, ainsi que la gestion de ses fonds de pension, au groupe AAA. »
Un virement de 212,9 millions
Active dans les banques, le pétrole, l'immobilier, les télécommunications, Isabel dos Santos pesait, avant sa chute, jusqu'à trois milliards de dollars. La fille de l'ancien président Neto et son mari jonglent eux aussi avec les milliards. En novembre 2018, le Ministère public genevois reçoit du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent une communication de « soupçons de blanchiment d'argent ».
Carlos Manuel de São Vicente s'est fait virer en septembre 2018 sur son compte personnel 212 900 000 dollars avec pour seule mention « Transfert of funds ». Comme le souligne la Cour de justice de Genève, il est « inhabituel » qu'un président de conseil d'administration « dispose en sa faveur de fonds appartenant à une société anonyme, de surcroît à une compagnie d'assurances régulée par l'État ». Au total, c'est plus d'un milliard de dollars qui ont transité sur les comptes de la famille.
Le Ministère public genevois a donc inculpé l'homme d'affaires angolais pour blanchiment et lui a séquestré autour de 900 millions de dollars. Depuis 2018, l'affaire ne se serait pas ébruitée si Carlos Manuel de São Vicente, qui rejette les accusations de blanchiment portées contre lui, n'était pas allé devant la Cour de justice pour débloquer sa cagnotte. Le 9 juillet, la Chambre pénale de recours l'a débouté, soulignant qu'à ce stade de l'enquête « les indices de la commission d'une infraction pénale en mains du Ministère public sont suffisants pour justifier le maintien du séquestre ».
Si la justice angolaise répond
Toutefois, la justice suisse évoque des « transactions financières complexes à l'arrière-plan économique difficilement compréhensible », et reconnaît que l'avancement de l'enquête « dépend en grande partie du résultat de la commission rogatoire adressée à l'Angola ». Or, Luanda n'a toujours pas répondu. Il n'est pas certain que la justice angolaise réponde un jour à la suisse. Par ailleurs, si le pays africain lui-même n'incrimine pas le patron du groupe AAA, il sera difficile de continuer à le poursuivre pour blanchiment. En effet, pour qu'il y ait blanchiment, il faut prouver qu'il y a eu précédemment un crime, en l'occurrence des détournements de fonds.
Carlos Manuel de São Vicente n'est pas encore totalement démuni. La Cour de justice nous apprend qu'« il a recouvré la disposition d'une partie de ses avoirs à la suite de la levée partielle du séquestre, le 18 avril 2019 ». Soit la modique somme d'environ 200 millions de dollars. De quoi survivre, lui et sa famille, encore quelque temps.
Contactée par Le Point Afrique, Clara Poglia, l'avocate de Carlos Manuel de São Vicent, nous a répondu lundi matin que son « client conteste fermement les charges à son encontre. Il confirme avoir toujours agi conformément à la loi ». Par ailleurs, il considère que « toute publication en lien avec la procédure viole le principe de la présomption d'innocence ainsi que le droit à la protection de la personnalité ».
Par notre correspondant à Genève, Ian Hamel