"Cheikh Souleymane Ball a laissé derrière lui un héritage culturel, un testament qui reste encore d'actualité, malgré le long temps écoulé"
Le Calame : Vous venez d’être porté à la tête de la toute nouvelle association mauritanienne pour la renaissance de l’œuvre de Cheikh Souleymane Ball. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à monter cette structure ?
Ball Mamoudou Jaafar : Les raison qui m'ont poussé à initier ce projet sont multiples. Entre autres, mon appartenance à la famille mais l'important, c'est plutôt l'œuvre d'un homme de Dieu, un visionnaire, une lumière, un résistant, un moudjahid qui a payé le plus fort prix pour libérer les siens de la tyrannie des Deeniyanke de l'époque.
Il a surtout su laisser derrière lui un héritage culturel, un testament qui reste encore d'actualité, malgré le long temps écoulé.
Quand il prône l'abolition du privilège lié à la naissance, qu'il édite des critères stricts et ô combien difficiles pour être candidat à l'Al Mamiya, qu’il interdit la succession dynastique du pouvoir ou incite le peuple à destituer leur Al Mamy, si celui-ci s'avère corrompu, il s'agit là des valeurs et des vertus cardinales que nous avons simplement besoin de cultiver pour nos enfants.
C'est encore parce que 99% de notre population ignore qu'il fut le premier à illuminer le Monde sur ces aspects précis et que nous avons entretenu consciemment ou inconsciemment cette ignorance.
C'est enfin et surtout de nos jours, la multiplicité des négations à l'endroit des Africains, allant jusqu'à avancer que l'homme noir n'est pas entré dans l'Histoire, tandis que d'autres semblent ne voir en tout cela aucune importance. Voilà pourquoi je me suis engagé depuis deux ans à tisser, morceau par morceau, ce qui a abouti le 10 Octobre 2020.
Véritablement la figure et l'œuvre de Ceerno Suleyman Ball est une réponse forte, crédible et appropriée, pour apporter un cinglant démenti à ce qui relève de l'ignorance. Mais celle-ci n'est pas seulement chez les autres, elle s'est généralisée chez nous aussi.
Depuis que nous avons pris notre destin en main, il y a plus de soixante ans, rien n'a été fait pour promouvoir les valeurs et les actes de cet homme, inspirer notre jeunesse en proie à tous les périls de la vie.
- L’histoire de Cheikh Souleymane Ball est liée à la destruction de Moudo Horma. Lors de l’Assemblée générale constitutive de l’AMRO, un intervenant – et non des moindres – a affirmé que c’est là une vision très réductrice de son œuvre. Partagez-vous son avis ? Le cas échéant, pourquoi ?
- Oui, c'est très réducteur de vouloir tout ramener à Muudo Horma : le professeur Sow Abdoulaye Doro a parfaitement raison de le rappeler. Certes, ce fut une épine, un fardeau et, à la limite, une humiliation qui, une fois terminée, ramena tout le reste en moindre mal. Mais les faits que j'ai déclinés tantôt prouvent l’incontestable dimension universelle de Ceerno.
- En quoi Cheikh Souleymane Ball était-il en avance sur son temps et une incarnation ou symbole de l’unité nationale en Mauritanie ?
- Il est évident qu'il était en avance sur son temps car il a reçu la Lumière d'Allah qui en avait distribué la miséricorde pour changer l'ordre injuste de l'époque à d'autres de sa génération, comme Montesquieu, Voltaire, Rousseau du siècle des lumières, précurseurs de la révolution de 1789, survenue treize ans après celles des Torodo de 1776.
Il est le pionnier du vivre ensemble, car il passa chez toutes les communautés, visitant la famille de Cheikh Mohamed Vadel, Cheikh Melaïnine, au Cayor du Sénégal chez les Mbalen, en Guinée et partout ailleurs. Et il ne vécut que cinquante-six courtes années, parcourant de très longs chemins en quête de savoir, à une époque où la jungle était dense, de Bode, sa ville natale, à Tichit et Male, jusqu'au Mboundu au Sénégal et Labé en Guinée, puis tout le Fouta, pour s'éteindre à Jîgue, à 25 kilomètres à l’Est de Kaédi et 18 kilomètres au Nord de Diowol. Je vous remercie.
Propos recueillis par DL