Soutien à Tebboune, vision du Hirak, déclaration sur l’Algérie rurale… Plusieurs éléments de l’interview du président français dans Jeune Afrique ont agacé les Algériens. Décryptage.
L’entretien qu’Emmanuel Macron a accordé à Jeune Afrique n’a pas laissé les Algériens indifférents. Réprobations, désapprobations, dénonciations, accusations de parti pris ou encore d’ingérence… Les déclarations du président français sur l’Algérie ont provoqué une petite tempête de réactions.
Notamment celle de l’ONM (Organisation nationale des moudjahidine). Par la voix de son secrétaire général, Mohand Ouamar Benelhadj, cette puissante organisation qui défend les intérêts des anciens combattants de la guerre de libération qualifie le propos d’Emmanuel Macron sur la question mémorielle de « mensonge ». « Nous ne pouvons pas réconcilier les deux mémoires », affirme-t-il.
Pas d’excuses
Abordant la question de l’histoire commune, celle de la mémoire et du passé colonial, Macron estime que la France ne peut pas présenter des excuses pour les méfaits de la colonisation française en Algérie comme certains officiels algériens continuent de le réclamer. « La France, unilatéralement et sans réponse depuis des décennies, a fait énormément de gestes sur cette question, répond le président français dans Jeune Afrique. Le sujet n’est pas de s’excuser (…) Ce qu’il faut, c’est mener un travail historique et réconcilier les mémoires. Nous devons regarder l’histoire en face. »
Même si Paris et Alger ont décidé chacun de désigner un historien pour plancher sur ce travail de mémoire commune, la question reste un point de friction et de tension entre les deux pays. Mais plus encore que ses propos sur l’histoire, ce sont les déclarations du président français affirmant son soutien à Abdelmadjid Tebboune et exposant sa vision du Hirak et de la transition qui a suscité des réactions.
Le « courage » de Tebboune
Macron loue le « courage » de son homologue algérien et affirme qu’il fera tout son possible pour l’aider dans cette période de transition, un an après son élection controversée. Cette sortie est perçue comme une intrusion directe dans les affaires de l’Algérie, et donc un accroc au principe de souveraineté et d’indépendance, sujet sensible s’il en est de ce côté de la Méditerranée. Comme si Paris s’autorisait à exercer une tutelle sur la présidence algérienne.
Ensuite, certains Algériens continuent de montrer de la défiance à l’égard du locataire du palais d’El Mouradia. Le scrutin du 12 décembre 2019, qui a amené Tebboune à la présidence, a été largement boycotté par les électeurs, dont une grande partie continuent de réclamer la fin du système et une véritable alternance au pouvoir.
Le dernier référendum sur la nouvelle constitution proposée par le chef de l’État algérien illustre cette défiance et le déficit de confiance dont il pâtit depuis son élection. Présentée comme le projet phare de la « Nouvelle Algérie » et une réponse aux revendications du Hirak, la réforme constitutionnelle n’a pas obtenu le plébiscite tant attendu. Près de 77 % des électeurs ont ainsi boudé le scrutin.
Une « transition » qui passe mal
Enfin, l’usage du mot « transition » par le président français passe mal car il intervient dans un contexte politique incertain et confus. Contaminé par le nouveau coronavirus, le président algérien poursuit son hospitalisation dans une clinique en Allemagne, où il a été admis le 28 octobre dernier. Si les officiels assurent que son état de santé s’améliore, son absence prolongée ainsi que le mystère qui entoure sa maladie suscitent doutes, incertitudes et inquiétudes sur ses capacités à assumer ses fonctions une fois de retour à Alger.
De précédentes prises de positions d’officiels français, a priori plus anodines, ont elles aussi provoqué des polémiques. Comme la déclaration de François Hollande qui, au sortir d’une audience avec l’ancien président Abdelaziz Bouteflika en juin 2015 vantait « l’alacrité » de ce dernier alors qu’il trainait de graves séquelles après son AVC de 2013.
Là encore, le propos de l’ex-président français était perçu comme une intrusion dans les affaires internes de l’Algérie et un soutien affirmé à un président alors déjà considéré comme impotent et inapte à gouverner. L’obsession de Bouteflika à briguer un cinquième mandat en février 2019 donnera d’ailleurs naissance au soulèvement populaire au terme duquel il a été chassé du pouvoir deux mois plus tard.
À propos de cette révolution, à laquelle la pandémie de Covid-19 a mis un coup d’arrêt, Emmanuel Macron tient des propos jugés équivoques. « On ne change pas un pays, des institutions et des structures de pouvoir en quelques mois, assène-t-il dans JA. Il y a eu un mouvement révolutionnaire, qui est toujours là, sous une forme différente. Il y a aussi une volonté de stabilité, en particulier dans la part la plus rurale de l’Algérie. Il faut tout faire pour que cette transition réussisse. »
Avec des mots à peine voilés, le président français recommande ainsi la patience pour assurer le passage de l’ancien système à une nouvelle forme de gouvernance que les Algériens n’ont de cesse de réclamer depuis le début de la contestation populaire en février 2019. Cette prise de position est non seulement jugée comme paternaliste mais aussi comme un distinguo entre ceux qui demandent la satisfaction de toutes les revendications du Hirak et ceux qui ont décidé de renoncer à la contestation en acceptant la légitimité du président Tebboune.
La ligne de Kamel Daoud
Emmanuel Macron emprunte le concept de ruralité au journaliste et écrivain Kamel Daoud qui, dans une de ses chroniques dans l’hebdomadaire Le Point, a estimé que les Algériens qui vivent dans le pays profond, loin d’Alger et des grandes villes, ont voté pour Tebboune en décembre 2019. Qu’ils aspirent à la stabilité, prenant ainsi leurs distances avec le mouvement de contestation.
Dans cette chronique qui avait soulevé un tollé sur les réseaux sociaux, Kamel Daoud explique que le Hirak originel, celui qui a permis d’en finir avec Bouteflika et sa « issaba » (« bande »), est terminé et que le concept de « dégagisme » ne constitue pas un programme politique. L’écrivain en veut pour preuve l’échec du mouvement de la rue à empêcher la tenue de la dernière élection présidentielle. Que Emmanuel Macron reprenne l’argumentaire de Kamel Daoud à propos de l’existence de deux peuples, celui des villes et celui du monde rural, n’est pas pour lui attirer la sympathie d’une frange des Algériens.
Certes, il faut relativiser la sortie médiatique du président français dans la mesure où elle ne prêtera pas à conséquence et ne débouchera pas sur une nouvelle crise entre Alger et Paris. Pour autant, elle dit combien le moindre propos émis par un chef d’État français peut provoquer des vagues de l’autre côté de la Méditerranée. Un président français ne peut pas tout dire sur l’Algérie.
Par Farid Alilat