Quoiqu’elle ait proclamé le 10 Juillet 1978 et le 6 Août 2008 que les forces armées sont l’ultime recours de la souveraineté nationale, une partie de la haute hiérarchie militaire n’aurait, à elle seule et à aucun de ces deux moments de rupture historique, pu renverser respectivement, l’exceptionnel père-fondateur de la Mauritanie moderne, ni l’unique élu d’un suffrage universel consulté en deux tours de scrutin observé internationalement et préparé pendant dix-huit mois.
Il lui a fallu le concours, déclaré seulement après le coup, de quelques personnalités politiques connues en 1978, prestigieuses mais « compréhensives » en 2008.
Il lui a fallu enfin une immédiate bienveillance de l’ancienne métropole : les ministres civils du Comité militaire reçus à l’ambassade de France dès le 14 Juillet 1978, puis le chef putschiste à l’Elysée le 8 Novembre.
Encore plus efficiente à l’automne de 2008, la caution de la France achetée au secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant et faisant changer d’attitude le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy.
S’il n’y eut aucune instance d’appel en 1978, que les renversements les uns par les autres des présidents du Comité militaire jusqu’en 1984, en revanche la résistance populaire, emmenée par un Front national de défense de la démocratie, força la réunion à Dakar de tous les « pôles mauritaniens », selon des avant-projets d’accord rédigés par la France.
Recevant le premier responsable du F.N.D.D., le président Sidi avait nettement indiqué à quelles conditions il permettrait, par sa propre démission, une élection présidentielle anticipée.
Ses propres partisans les oublièrent, à peine arrivés à Dakar et signèrent l’accord du 2 Mai 2009, et – exactement comme aux premiers jours du putsch – les politiques firent le jeu des militaires, en étant convaincus que les urnes leur seraient favorables. On sut dès le soir du premier tour que tout était truqué puisque le président de la C.E.N.I. d’alors démissionna… Une nouvelle expression de ses conditions – notamment la dissolution du BASEP – par le président Sidi fut écartée.
La Mauritanie qui avait déjà gagné, en quinze mois de démocratie parlementaire, la criminalisation des pratiques esclavagistes, puis l’ouverture franche et consensuelle du dossier des réfugiés et exilés du printemps de 1989, et aussi la reconnaissance officielle d’un parti aussi représentatif que Tawassoul, eut cependant le privilège, exceptionnel en Afrique, d’entendre deux discours globaux sur la citoyenneté, la concorde, le développement et sur l’avenir : prononcés à deux ans de distance, un 26 Juin, programme du début d’exercice du pouvoir et bilan de la tentative.
Homme de dialogue
Aujourd’hui, dans une profonde et fraternelle tristesse, avec toutes celles et tous ceux de mes compatriotes d’adoption, j’adresse mes condoléances à ceux que saluait et remerciait le Président légitime de la République, avant de démissionner, le 26 Juin 2009 :
« A tous ceux qui ont œuvré sincèrement pour réaliser le changement démocratique pacifique ;
A tous ceux qui m’ont aidé avec dévouement et quinze mois durant, à réaliser les rêves des mauritaniens de bâtir l’Etat de droit, l’Etat moral où chaque mauritanien bénéficie des bienfaits de l’équité, de la prospérité, des valeurs démocratiques et de l’égalité des chances ;
Au Premier Ministre, Monsieur Yahya Ould Ahmed El Waqf et à ses compagnons, à tous ceux qui ont vécu les affres de la prison pour avoir défendu la vérité et être restés fidèles à leurs principes ;
Au Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur Messaoud Ould Boulkheir, dont la position particulièrement honorable par rapport au rejet du coup d’état et au retour à l’ordre constitutionnel, a été à la hauteur de ses responsabilités constitutionnelles ;
Au Président du Conseil Economique et Social, Monsieur Ahmed Ould Sidi Baba, qui s’est tant sacrifié pour le retour à l’ordre constitutionnel ;
Aux membres du gouvernement légitime et aux parlementaires qui ont tant lutté pour la défense des intérêts supérieurs de la nation ;
Aux élus, aux partis politiques, aux centrales syndicales, aux organisations de la société civile, à nos cadres et à nos intellectuels à l’extérieur pour le rôle éminent qu’ils jouent pour la défense de la démocratie et de la légalité dans notre pays ;
A tous les militants sincères qui ont assumé sacrifice après sacrifice pour préserver notre expérience démocratique et pour que la Mauritanie recouvre sa stabilité politique, sa légalité constitutionnelle et poursuive sa marche vers le développement »
A eux tous, je veux redire combien celui qu’ils ont soutenu, pendant l’exercice de son pouvoir, puis pendant les onze mois d’usurpation par un homme qui maintenant sait que seront punis ses abus du bien public national, combien le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi était valable, vrai, compétent, homme de dialogue, qu’il incarnait le pays et, dans l’intimité de la relation qu’il voulut bien avoir avec moi, combien il avait d’humour, de bonté, de franchise et de rectitude du jugement sur les sujets les plus difficiles pour la Mauritanie et sur les hommes les moins méritants.
L’écoutant souvent, au téléphone en 2008 et en 2009, puis échangeant avec lui des courriels, l’exhortant à rédiger ses mémoires qui auraient fait la suite de ceux du président Moktar Ould Daddah, j’entendais une voix fraternelle, chaleureuse, nette. Ses appels au téléphone, devant des épisodes scandaleux : le mensonge du président français, les déguisements civils de l’officier à qui il avait conféré son grade de général… Nous essayions de mettre au point démentis et contre-attaques.
Parole de conviction et même d’audace que je rencontrais dans sa première forme : l’écrit. La lettre au chef de l’Etat du président de l’Union nationale des étudiants de la République Islamique de Mauritanie, à l’étranger, en France notamment, l’U.N.R.I.M.. C’était déjà la même exigence nationaliste, libertaire mais sincère.
Ainsi commença la relation, avec le président-fondateur, du futur ministre de l’Economie des dernières années de la fondation nationale : les années révolutionnaires encore plus en économie qu’en vie politique, 1971 à 1978, qui firent le consensus mauritanien.
Je pleure avec les siens, et – j’en suis sûr – une majorité immense des Mauritaniens.
Bertrand Fessard de Foucault, alias Ould Kaïge
Le Calame a publié, en chroniques anniversaires d’Ould Kaïge, les étapes suivantes :
25 Mars 2007, élection de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi à la présidence de la République
26 . 27 . 28 Avril 2007, élection du président de chacune des assemblées et formation du gouvernement à la suite du premier scrutin présidentiel pluraliste
10 Décembre 2007, Sidi Ould Cheikh Abdallahi lance la campagne de sensibilisation à la loi incriminant l’esclavage
3 Juillet 2008, démission de Yahya Ould Ahmed El Waghf, aussitôt renommé Premier Ministre par le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi
6 Août 2008, renversement d’une démocratie parlementaire de quinze mois
28 Mai 2009, sous médiation internationale, ouverture des négociations à Dakar entre les trois « pôles » mauritaniens
7 Juin 2009, Sidi Ould Cheikh Abdallahi conditionne son abdication
26 Juin 2009, Sidi Ould Cheikh Abdallahi nomme le gouvernement d’union nationale et démissionne de ses fonctions de président de la République