A eux cinq, la Mauritanie, le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad ont recensé 13 000 cas et la propagation du Covid-19 y semble désormais en régression.
Des agents de santé lors de l’inauguration d’un centre destiné aux patients atteints du Covid-19 au stade Seyni-Koutché de Niamey, au Niger, le 17 avril 2020. NICOLAS REMENE / AFP
Et si le coup d’Etat du 18 août à Bamako était un facteur aggravant de l’épidémie liée au coronavirus au Mali ? Comme l’était déjà la contestation politique qui, chaque vendredi depuis le 5 juin, réunissait dans les rues les opposants au président Ibrahim Boubacar Keïta… Depuis son poste de coordinateur de la réponse au Covid-19 en Afrique pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le docteur Richard Mihigo scrute les événements à la loupe et avoue ses craintes : « Nous demandons aux pays de rester extrêmement vigilants. Les rassemblements politiques, comme au Mali, ne nous mettent pas en confiance compte tenu des vulnérabilités des pays du Sahel. Si la réouverture des frontières et les rassemblements ne sont pas organisés avec les mesures d’hygiène qui s’imposent, on risque d’avoir une recrue du nombre de cas. »
Pourtant, au Mali comme dans le reste de cette région qui comprend aussi le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et la Mauritanie, la propagation du virus semble pour l’heure en régression. Alors que l’Europe se prépare à sa seconde vague et que les Etats-Unis n’arrivent pas à sortir de leur première, les pays du Sahel, eux, ont décidé de rouvrir les aéroports, tandis que les ambassades et les missions internationales renvoient leur personnel dans la zone. Au vu de la stabilisation sanitaire, un membre de la cellule de conseil et de coordination de l’Union européenne (UE) au Sahel prédit même que « le dispositif de rapatriement et de rotation des équipes prendra fin en septembre », date à laquelle « nos missions habituelles vont reprendre ».
Aujourd’hui, même sous-estimée, la courbe des contaminations au Sahel fait pâlir d’envie bien des pays plus avancés. Officiellement, selon les statistiques du Centre de contrôle et de prévention des maladies de l’Union africaine (Africa CDC), à Addis-Abeba, il reste à peine 1 900 malades dans l’ensemble de ces cinq pays, qui regroupent 85 millions d’habitants. Le total cumulé des cas répertoriés depuis le printemps s’élève à 13 000 cas (en France, plus de 2 000 nouveaux cas sont enregistrés chaque jour depuis une semaine) et moins de 500 décès ont été à déplorer (plus de 30 000 en France pour une population inférieure). Autant dire que l’épidémie n’a fait qu’effleurer ces pays… alors que le continent africain est en train de passer le cap des 1,2 million de cas.
Réaction rapide
« Il y a bien eu une augmentation exponentielle en Mauritanie au début de l’été, avec plus de 6 000 personnes atteintes en même temps, mais la tendance est pour l’heure est à la stabilisation. Aucun des autres pays de la zone n’a d’ailleurs franchi la barre des 3 000 cas », pointe Richard Mihigo. Effectivement, en total cumulé au samedi 22 août, outre les 6 829 cas mauritaniens, le Mali est à 2 699, le Burkina à 1 320, le Niger à 1 172 et le Tchad à 982, selon les données de l’Africa CDC.
Sur la bande sahélienne, les tout premiers malades ont été décelés en février au Burkina, en mars au Tchad, et le virus a ensuite circulé à bas bruit, sans montée spectaculaire comme ont pu en connaître les Etat-Unis, l’Europe ou quelques pays africains comme l’Afrique du Sud et le Nigeria, pourtant voisin. « Dans la plupart des pays du Sahel, les mesures de confinement et la fermeture des frontières ont été décidées très tôt, avant même qu’il y ait un nombre important de cas. Et cette politique a eu des effets positifs sur la propagation du virus », souligne le docteur Mihigo.
Si chaque pays a réagi avec sa culture, la célérité a été un point commun à tous. Ainsi, au Tchad, les lieux de culte, les écoles et les commerces ont été fermés dès le lendemain de l’enregistrement de la première contamination, le 19 mars. Et en Mauritanie, tout un dispositif a été rapidement déployé. Médecin-conseil à l’ambassade de France à Nouakchott, Raymond Najjar le qualifie volontiers d’« exemplaire ». « Le gouvernement a fermé ses couloirs aériens en avril, puis ses frontières intérieures, au point que plus personne n’a pu circuler dans le pays jusqu’en juillet », résume-t-il.
Au Niger, pas de tergiversations non plus : les mosquées ont été fermées durant deux semaines et Niamey, la capitale, est restée isolée du reste du pays la première quinzaine d’avril. Côté méthode, l’armée a pris le contrôle de la gestion de la crise, faisant respecter manu militari le couvre-feu. Enfin, l’état d’urgence sanitaire ainsi que des couvre-feux nocturnes ont été instaurés dans la majeure partie des pays de la zone.
Population jeune
A ces précautions de début de pandémie s’ajoutent un faible taux d’urbanisation et un réseau de transports limité, deux facteurs qui ont contribué à limiter la circulation du virus. Sans oublier l’extrême jeunesse de la population, puisque la moitié des habitants de ces pays sont âgés de moins de 15 ans. Ce dernier point pourrait d’ailleurs expliquer, selon plusieurs spécialistes de la maladie, que de nombreuses personnes restées asymptomatiques ou ayant développé des formes bénignes du Covid-19 n’aient été ni soignées ni enregistrées, et ne sont donc pas apparu dans le décompte des cas.
Bien que l’OMS se montre assez circonspecte sur les statistiques qui sont remontées de ces pays disposant de peu de tests, cela ne change rien, dans le fond, aux ordres de grandeur. Plusieurs ONG présentes sur la zone se disent quasi certaines de n’être pas passées à côté d’un phénomène massif d’infections, même si elles reconnaissent que, faute de moyens de dépistage et de consultations, l’épidémie a forcément été sous-estimée.
Quoi qu’il en soit, le faible nombre de patients développant des cas graves a permis d’écarter les craintes de voir les infrastructures médicales dépassées. Et des dispositifs ont été pensés pour soigner et isoler en amont, évitant l’obligation de mettre sous respirateur artificiel. Ainsi, la Mauritanie a ouvert dès le mois d’avril quatre centres pouvant accueillir entre 500 et 800 cas suspects et les malades atteints de complications ont été envoyés dans les services de virologie et de réanimation. « Ça a bien fonctionné et les centres de soins ont suffi, relève le docteur Najjar. Mais s’il y avait eu une centaine de cas nécessitant une réanimation, là, le pays n’aurait pas pu faire face… » En avril, la Mauritanie a reçu un don de 60 respirateurs, auxquels s’ajoutent depuis quelques jours seulement des tests PCR.
Au Niger, le gouvernement a procédé différemment, en mettant depuis le 23 mars à la disposition de chaque commune une ambulance et des numéros de téléphone pour évacuer les cas suspects vers des centres de confinement. Au Burkina Faso, l’accent a été mis sur le respect du couvre-feu et les policiers n’ont pas lésiné sur l’usage de la matraque pour faire rentrer les récalcitrants chez eux. A Niamey, où la discipline était aussi de fer, de violentes manifestations ont éclaté, fin avril, contre le couvre-feu et l’interdiction des prières, conduisant à des arrestations et des emprisonnements.
Impact sécuritaire
D’ailleurs, « la crise du Covid-19 a probablement eu un impact sur la situation sécuritaire au Sahel », pointe notre source de l’UE : « Les forces de sécurité ont été utilisées par les gouvernements pour faire respecter les mesures de précaution et une petite partie d’entre elles ont donc été momentanément détournées de leur mission de lutte contre la criminalité et le terrorisme. »
Si la vie reprend aujourd’hui son cours quasi normal et si le drame sanitaire a été évité, les conséquences économiques, elles, restent à venir. Et dans ces pays qui comptent parmi les plus pauvres de la planète et où l’extrême pauvreté rime au quotidien avec l’absence de nourriture sur la table ou d’une alimentation suffisamment diversifiée pour être satisfaisante, le spectre d’une aggravation de la malnutrition et de la sous-nutrition rôde tout près.
Avant l’apparition du coronavirus déjà, ces pays flirtaient avec la crise alimentaire, dans certaines régions, surtout depuis que la présence djihadiste perturbe les activités pastorales et agricoles et que les communautés se déchirent pour le pâturage d’un troupeau ou le respect d’un semis… Quand on ajoute à cela le ralentissement du commerce mondial, la chute des cours des matières premières et les limitations de la mobilité internationale, ces économies déjà structurellement faibles sont évidemment touchées de plein fouet.
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