L'aura du groupe jihadiste GSIM et de son chef Iyad Ag Ghali sort renforcée de l'opération. Négocier avec les terroristes est désormais une option crédible qui va aussi servir le nouveau pouvoir de Bamako.
Février 2020, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta met fin à la doctrine régulièrement répétée qu'il n'y a pas de négociations possibles avec les groupes armés. Il admet que des démarches sont en cours entre le gouvernement de Bamako et des jihadistes.
Face aux attaques à répétition, aux morts dont le nombre devient "exponentiel" selon ses propres termes, il déclare : "Je crois qu'il est temps que certaines voies soient explorées."
Des émissaires sont envoyés auprès des deux hommes forts de la mouvance jihadiste : Iyad Ag Ghali, le chef du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), et Amadou Kouffa son bras droit et chef de la katiba Macina.
Voilà donc Iyad Ag Ghali, longtemps ennemi numéro un tant de Bamako que de Paris, devenu fréquentable. L'homme, dont la vie est un véritable roman, montre une fois encore qu'il est incontournable.
Dans le même temps, la stratégie du G5-Sahel évolue. L'ennemi à combattre en priorité est désormais l'Etat islamique au grand Sahara (EIGS), affilié au groupe Etat islamique. Négocier avec certains n'est désormais plus tabou, ce qu’indique clairement le message d’IBK.
Main tendue
En retour de l'offre d’Ibrahim Boubacar Keïta, des signaux ne tardent pas à parvenir de la part du GSIM. Début mars 2020 dans un communiqué, le groupe se dit prêt à négocier avec Bamako. Il pose tout de même un préalable : le départ de Barkhane et des Casques bleus de la Minusma du territoire malien. "Il ne saurait être question de négociations à l'ombre de l'occupation avant le départ du Mali de toutes les forces françaises et de ceux qui les suivent", est-il expliqué dans le communiqué. Une exigence inacceptable qui semble rendre caduc tout début de négociation. Aussi les mois passent et rien, officiellement, ne paraît émerger de ce rapprochement stratégique.
Dans ce contexte, la libération des otages marque le signal de la bonne volonté du chef jihadiste. Si personne n'avait revendiqué leur détention, pour les observateurs, Ag Ghali en était probablement le geôlier. Comme le font remarquer de nombreux spécialistes, cette libération s'est sûrement accompagnée d'espèces sonnantes et trébuchantes.
Libérer Soumaïla Cissé
Le bénéfice est à la fois financier et politique pour Iyad Ag Ghali. Les négociations relatives aux otages ne concernaient initialement que Soumaïla Cissé, l’homme politique malien enlevé le 25 mars 2020 près de Tombouctou, croit savoir le journal Le Point. Les jihadistes "acceptent que l'otage française vienne se greffer à la libération du chef de l'opposition malienne", écrit le journal. Coup double pour Ag Ghali.
Voilà qui va aider Iyad Ag Ghali et le GSIM à se présenter comme étant du côté du peuple. "Il pourra plus tranquillement tenter de réaliser son projet politique qui est d'instaurer la charia", écrit Le Point.
L'armée malienne gagnante
En parallèle, l'armée malienne semble aussi être l'autre gagnante de cette libération. Au pouvoir depuis le coup d'Etat, l'équipe dirigeante actuelle du Mali, issue du putsch qui a renversé IBK, n'est pas à l'origine des tractations pour obtenir la libération des otages. Mais elle n'a pas bloqué le processus, long et compliqué. Aujourd’hui, cette armée recueille la gloire de négociations bien menées, mais diligentées par l’ancien pouvoir malien.
Elle peut donc désormais "surfer" sur la liesse populaire provoquée par la libération de Soumaïla Cissé, le chef de file du principal parti d’opposition. La rue et l'opposition, qui ont salué l'arrivée au pouvoir des militaires, vont trouver dans cette libération des otages de quoi soutenir le nouveau régime.
Etrange paradoxe qui voit le pouvoir militaire renforcé par son ennemi.
Par Jacques Deveaux