Le juge d’instruction a inculpé, il y a quelques semaines, l’ex-président de la République Mohamed ould Abdel Aziz et douze de ses proches, anciens collaborateurs ou cercle familial. Une première dans les annales de la justice de République Islamique de Mauritanie. Treize personnes sur plus de trois cents cités dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire (CEP). La question que l’on se pose, au terme de l’audition de tout ce beau monde, est de savoir si tous ceux qui n’ont pas été inculpés sont totalement blanchis des soupçons portés à leur encontre, alors que certains ont paraphé des documents ou influencé des décisions pouvant les compromettre. Treize sur trois cents, moins de 5% donc, le peu interroge forcément et paraît apporter de l’eau au moulin de ceux qui ne voient, en tout cela, que règlements de comptes ou chasse aux sorcières. Le collectif de défense et les proches de l’ex-Président, notamment.
Mais ce qui interroge le plus est ce qui adviendra de Mohamed ould Abdel Aziz : son avenir politique ou, disons-le, son avenir tout court, dépend de l’issue de l’enquête judiciaire désormais enclenchée. Face aux accusations – diverses et qui semblent relever du « crime » économique, « blanchiment d’argent » et « entrave à la justice » – il lui sera difficile d’échapper à une condamnation. Bon nombre de ses biens sont désormais gelés ou confisqués, ce qui constitue, en soi, déjà un drame pour ne pas dire une humiliation pour celui qui fut le président de la République, adoré et craint. Nombre de nos responsables politiques – et même religieux… – n’hésitèrent pas à lui tailler un costume de quasi-visionnaire, bâtisseur et saint. Ceux-là même qui n’hésitèrent pas plus à lui demander de parjurer en briguant un troisième mandat.
Ould Abdel Aziz n’a pas cependant pas couvert la Mauritanie de noir, si l’on en croit les quelques rares soutiens dont il dispose encore. Il a, à son actif, de vraies réalisations. Même si les infrastructures réalisées sous son règne ne sont pas toutes de qualité supérieure, loin s’en faut, et auraient pu être réalisées à moindre coût, force est de reconnaître qu’elles ont contribué à changer un tant soit peu l’image de la capitale et à améliorer la mobilité urbaine et interurbaine. Ce n’est pas rien. Certains ajouteront que, non dépensé, cet argent serait directement tombé dans les poches des voleurs et pilleurs de la République.
Aujourd’hui, cette page de l’ex-Président qui s’est écrite sur dix ans est en passe d’être totalement tournée : ceux qui en avaient concocté l’encre s’emploient à user leurs gommes et buvards à l’effacer. Comme il avait lui-même effacé celle de ses prédécesseurs, particulièrement du plus direct, feu Sidi ould Cheikh Abdallahi dont l’épouse fut accusée de tous les maux.
Aujourd’hui, l’ex-Président, « l’ami de quarante ans » – comme il se plaisait à dire de ses relations avec son ex-chef d’état-major, dix ans durant, puis ministre de la Défense de quelques mois – doit affronter la justice. D’abord l’ordinaire, pour répondre des accusations citées tantôt ; celle d’exception ensuite, si la Haute Cour de Justice (HCJ) préconisée par l’Assemblée nationale et validée par le Conseil Constitutionnel arrive à prendre corps. Elle aura à décider de l’existence ou non d’une haute trahison, conformément à l’article 93 de la Constitution derrière lequel s’est muré l’ex-Président pour refuser de répondre aux questions de la police des crimes et délits économiques et du procureur de la République. Pour Ould Abdel Aziz et ses avocats, seule la HCJ est habilitée à l’auditionner et, éventuellement, le juger. Un argument balayé du revers de la main par le collectif de défense des intérêts de l’État. Bataille de robes noires autour de l’interprétation dudit article... En tous les cas et même si la mise en place de la HCJ reste hypothétique, les deux options semblent à l’évidence bien engagées, ce qui ne facilite pas la tâche des défenseurs d’Ould Abdel Aziz qui s’accrochent à la nullité de la procédure. Redevenu simple citoyen depuis le 1erAoût 2019, Ould Abdel Aziz est bel et bien d’abord considéré justiciable comme tout citoyen lambda.
Aujourd’hui et encore, la procédure devant la justice ordinaire est donc enclenchée et ce sera au juge d’instruction de trancher au terme de son enquête. Envoyer tous les présumés coupables devant un tribunal ou les relaxer. Dans le premier cas, le tribunal aura à choisir entre condamnation directe ou compléments d’enquête. L’ex-Président pourra peut-être compter sur la fameuse amitié de quarante ans pour bénéficier, qui sait de l’amnistie, voire de la grâce présidentielle. Quarante ans de compagnonnage, ce n’est pas rien, surtout quand les amis ont occupé des fonctions stratégiques (DGSN, BED, EMGAM, BASEP, MD et présidence de la République…) dont chacun garderait diverses bombes. Est-ce pour cela que l’ex-Président garde toujours le silence ? La question mérite d’être posée. D’après nombre de mauritaniens, c’est redoutant la capacité de nuisance du vieil ami et compagnon que le président Ghazwani et son gouvernement feraient traîner les choses. Un avis que semble également insinuer la défense de l’ex-Président, soulignant qu’il serait dans l’intérêt des deux parties qu’Ould Abdel Aziz ne parle pas. Simple stratégie de défense, diront leurs collègues en vis-à-vis. Laissant, au final, l’abrupt d’une ou deux questions : la justice mauritanienne va-t-elle sacrifier quarante années de compagnonnage dans les arcanes du pouvoir ? Plus exactement, le pourra-t-elle ?