Lutte contre le terrorisme au Sahel. Un succès sportif qui détourne momentanément les regards d’une humiliation militaire.

lun, 22/11/2021 - 10:42

« Le rugby connaît un nouvel ordre mondial et, pour l'instant, les All Blacks ne sont pas à la hauteur », écrit Marc Hinton, expliquant la terrible déroute de l’équipe de son pays, battue par la France (40-25).

Très intéressé par les questions géostratégiques, notamment les problèmes de sécurité au Sahel, la phrase se transforma rapidement à mes yeux. A la place des mots  « le rugby » et « All Blacks », ce sont les termes « la lutte contre le terrorisme » et « les Français » qui me viennent désormais à l'esprit, quand je pense au papier du commentateur sportif néozélandais et au blocage depuis trois jours d’un convoi militaire français au Burkina-Faso.

Une victoire qui arrive à point nommé

J’avoue qui si j’étais un français, quel qu’il soit, haut responsable ou citoyen « lambda », je n’aurais probablement pas la même réaction. Malgré la concomitance des deux évènements, il est inimaginable que j’établisse un lien entre notre belle et éclatante victoire inattendue contre les rugbymans néozélandais hier au Stade de France, avec le blocage d’un convoi de ravitaillement militaire se déplaçant à des milliers de km du pays.  La presse française a fait de même. Elle s’est intéressé énormément au match de rugby, consacrant assez peu d’espace à l’évènement politico-militaire, malgré-  (ou à cause)- de sa gravité.  

"Pourquoi gâcher la fête ! Savourons plutôt la victoire, au lieu d’écouter des hordes de jeunes burkinabés en colère.", devait-on se dire en France. C'est à cela que sert le sport : il vous fait oublier les soucis et peines. Si K. Marx était de ce monde aujourd’hui, il ferait son autocritique : « le sport est l’opium des peuples », écrira-t-il.

La victoire du « Quinze de France » est venue à point nommé. Elle a ravi la vedette à l’humiliation militaire qu’ont fait subir des citoyens désarmés, du "Pays des hommes intègres", à la gigantesque armada logistique déployée par leur ancienne puissance coloniale.

Un bonheur de courte durée

Mais, le bonheur risque d’être de courte durée, par ailleurs. L’enlisement des forces françaises au Sahel a atteint son apogée. Outre les résultats militaires controversés de leur engament sur le terrain, le blocage du convoi par les populations civiles met sérieusement à mal leur soutien logistique à partir de la Côte d’Ivoire, compromettant gravement la planification opérationnelle contre les groupes terroristes.

Or, les « abc » de la connaissance militaire et stratégique nous enseignent que « si la logistique dit non, (…). Il faut changer le plan d'opération. Il est mauvais », comme disait Eisenhower. Seulement, des solutions de rechange, logistiques et opérationnelles, susceptibles d’améliorer le dispositif sur le terrain, il n’y en a pas beaucoup. 

Pire : l’incident pourrait faire tache d’huile. Il risque de s’étendre. La MINUSMA et les autres forces étrangères au Sahel n’y sont pas l’abri. Egalement, en plus de la Côte d’Ivoire, les pays de la région ayant des façades maritimes, Ghana, Togo, Bénin… feront certainement preuve davantage de prudence quant à l’usage de leurs infrastructures portuaires par des forces militaires étrangères.  

Accélération de la « restructuration », et poids pressant de l’échéance présidentielle 

Le bourbier sahélien devenant de plus en plus insoutenable pour la France, l’occupant de l’Elysée ne risque-t-il pas de revoir la « transformation stratégique » de son dispositif militaire, qu’il avait annoncée le 10 juin dernier, et que « Barkhane » a entamée aussitôt après ?

Dans cette perspective, une accélération du rythme de la « restructuration » est envisageable, tout comme une réduction encore plus importante du format des forces françaises déployées dans la région.

A quelques mois de l’élection présidentielle, Macron fera tout son possible afin que le bourbier sahélien ne pèse pas trop dans sa stratégie de candidat à sa propre succession. Cherchera-t-il, à faire incomber la responsabilité des échecs et limites de l’action militaire aux chefs d’Etats des pays sahéliens ?  

C’est trop facile comme alibi. Mais la tentation semble forte chez le Président français, estimant que ce genre de discours ne manquera pas d’avoir des échos favorables parmi les électeurs français. Il n’hésitera pas trop, soutenu par son ministre des affaires étrangères, de puiser des arguments dans l’instabilité politique dans la région. Les difficultés liées aux transitions, particulièrement au Mali, et la colère de la rue au Burkina-Faso, risquent d’être « instrumentalisées » via des circuits "indétectables" que sécrètent la nouvelle « Françafrique », version Macron.

El Boukhary Mohamed Mouemel