Un expert international met en garde Ghazouani contre une confrontation populaire

sam, 30/05/2020 - 11:55

L’expert de l’ONU Mohamed Mounir a mis en garde le président Mohamed Ould El-Ghazouani contre une confrontation  populaire, soulignant que le pays vit « une étape  nationale  particuliére et historique qui nécessite une rupture claire, complète et immédiate avec les pratiques antérieures ».

Monsieur le président de la République : Maintenant, il faut agir !

J’ai écouté le discours de vœux du président de la République, à l’occasion de l’Aïd, et j’ai remarqué qu’il commence à clarifier son approche et ses intentions.

Sur la forme, il est toujours dans une approche consensuelle, fidèle à son style pendant la campagne électorale, qui contraste avec celui, arrogant et belliqueux, de son prédécesseur. De même, il apparait beaucoup plus serein et apaisé et, en cela, correspond davantage aux valeurs des Mauritaniens fondées sur le respect et la dignité. Mohamed Ould Abdel Aziz a géré le pays en traitant ses concitoyens avec mépris, arrogance et suffisance, essayant de les dresser les uns contre les autres, et instrumentalisant le pouvoir pour régler ses comptes.

Pour le moment, tous les signes que le nouveau chef de l’Etat envoie oscillent entre continuité et rupture, dans le cadre d’une alchimie savante dont il a le secret. Or, nous sommes à un moment de l’Histoire du pays qui exige une rupture claire avec les pratiques du passé, d’où le risque de déphasage. Ould Ghazouani est un homme consensuel qui veut bâtir sur ce qu’il a trouvé avant lui, voire le continuer, au moment où l’opinion attend des gestes forts en rupture avec le régime précédent, non seulement pour ce qui est des pratiques, mais aussi au niveau du choix de ceux qui vont gérer le pays pour les années à venir. Ce déphasage risque de se traduire par un mécontentement, voire de générer une explosion de colère, de nature à réduire la crédibilité et les marges du nouveau pouvoir.

 

Gage de crédibilité

Un passage du discours du président de la République a particulièrement attiré mon attention. Il s’agit de la volonté déclarée de lutter contre la corruption. Je suis absolument convaincu que le président a conscience de la gravité de ce phénomène et de son impact catastrophique sur le développement. L’indicateur positif à l’appui de cette déclaration d’intention, tient à ce qu’il ait laissé se constituer la commission d’enquête parlementaire, qui a pu élargir son mandat et sa durée. Toutefois, si le président de la République voudrait donner un gage de crédibilité à son action et envoyer un signal fort, pour signifier à l’opinion que nous ne sommes plus dans le registre des bonnes intentions, mais bien dans celui des actes, il faudrait qu’il prenne les deux décisions suivantes, de nature à opérationnaliser la lutte contre la corruption.:

1. Arrêter de s’entourer de responsables perçus comme des corrompus ou comme des symboles de l’ère Aziz. Dès le début, la composition du gouvernement n’était pas encourageante, car elle reproduisait à peu près la même configuration politique précédente, à de rares exceptions près. En tant que telle, elle était loin de traduire un choix pour le changement, pourtant attendu et espéré par beaucoup de nos concitoyens. L’opinion n’arrive, en effet, pas à comprendre pourquoi garder et « recycler » de telles personnalités, qui continuent de sévir à des postes stratégiques, en dépit des lourdes suspicions qui pèsent sur elles. D’autant plus, qu’il ne s’agit pas forcément de lumières ou de personnes disposant de compétences exceptionnelles. Au demeurant, la plupart ont été cooptées par Aziz qui, à l’instar de la plupart des despotes, déteste les cadres intelligents ou brillants.

Tout indique que le président de la République a gardé ces symboles de la décennie Aziz pour consolider son pouvoir et éviter qu’ils aillent rejoindre Aziz, avec les ressources détournées, ce qui pourrait constituer une menace pour son pouvoir, dans le contexte des tentatives répétées de l’ex-président de revenir aux affaires. Ce serait donc une façon de neutraliser leur capacité de nuisance et les garder sous contrôle.

Toutefois, un tel calcul pourrait bien se révéler à courte vue et constituer une stratégie périlleuse. En ce sens, le président de la République devrait tirer les enseignements de la manière dont Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait géré sa relation avec ould Abdel Aziz. Se sachant sous la pression d’Aziz, il avait cherché, dans un premier temps, à le contenter, en multipliant les gestes de bonne volonté à son égard et a tardé à faire preuve de fermeté. Au moment où il voulait le faire, il était déjà trop tard. Dans ces conditions, il faudrait se débarrasser de l’influence de Mohamed Ould Abdel Aziz dès à présent. A mesure que le temps passe, il sera plus difficile de le faire ultérieurement, surtout compte tenu de l’usure du pouvoir et des éventuelles erreurs politiques susceptibles d’être commises par le pouvoir en place. L’idée serait donc, à défaut de pouvoir les limoger et de les juger, de nommer ces prédateurs à des postes plus ou moins honorifiques, en attendant le rapport de la Commission d’enquête parlementaire.

2. Créer une commission nationale pour la récupération des avoirs spoliés, qui serait la suite logique et opérationnelle de la commission parlementaire. Cette commission pourrait commencer par regarder en priorité les affaires de corruption les plus récentes. Elle devrait être chargée de la mise en œuvre des recommandations de la commission d’enquête et œuvrer à la récupération des avoirs mal acquis, en retraçant leur origine délictuelle. Pour y arriver, elle devrait mener des investigations complémentaires, instruire des dossiers pour qu’ils soient soumis à la justice, et assurer le suivi de la mise en œuvre des décisions de justice. Elle pourrait mobiliser des experts selon les besoins et disposer d’un budget suffisant pour mener à bien sa mission.

 

Souci de justice

Cette commission pourrait également, si le mandat lui est clairement attribué, d’engager des négociations avec les personnes accusées d’avoir détourné des ressources publiques ou d’être impliquées dans des actes de corruption. L’objectif est d’éviter des procès très longs, qui pourraient coûter beaucoup de temps et d’argent et attiser les tensions. Il s’agirait d’encourager les personnes accusées de rendre une partie des fonds indûment perçus, en contrepartie de l’abandon des poursuites judiciaires. Cette procédure répondrait, dans une certaine mesure, au souci de justice, dans la mesure où ce qui est escompté d’une démarche judiciaire, c’est d’abord la reconnaissance de la culpabilité, plus encore que la rétribution de la faute commise. Or, cette reconnaissance serait obtenue à travers un « compromis » dans lequel les personnes suspectées reconnaitraient clairement leur responsabilité et accepteraient de rendre une partie des fonds indûment acquis.

Cette commission devrait comprendre des personnalités issues de la société civile, respectées et connues pour leur rectitude morale et leur rigueur. Une personnalité telle que Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Saleh, par exemple, serait un excellent choix pour la présider.

En définitive, le président semble faire face à un système bien implanté et bien difficile à extirper. Pour le moment, son approche parait assez sage, dans la mesure où il ne cherche pas la confrontation avec les fidèles du régime d’Aziz, mais plutôt d’imprimer son propre tempo, tout en évitant de donner à ses rivaux, en embuscade, l’occasion de le déstabiliser. Mais trop de prudence serait aussi synonyme d’imprudence. C’est pourquoi il doit profiter du contexte de relatif consensus actuel, qui ne risque pas de durer longtemps, pour prendre les mesures qui s’imposent. La parole donnée à Ould Abdel Aziz et à ses fidèles ne devrait pas peser contre les intérêts du peuple mauritanien. Les Mauritaniens attendent du président qu’il soit un réformateur et qu’il prenne des décisions de rupture. A défaut, c’est l’opinion publique qui pourrait rompre avec lui.

Par Mohamed Ould Mounir

Le Calame